Histoire
Chère Maman,
Je sais que tu es furieuse ; tu n'as jamais voulu me voir suivre le même chemin que mon père mort au combat quand j'avais six ans ; tu me l'as même interdit. Je suis parti sans rien vous dire à toi et à Mercedes parce que je suis un lâche. Je ne voulais pas vous briser le cœur ni vous abandonner, mais votre aveuglement à cette situation m’insupportai ; ce qui a été chez moi m'a semblé subitement m’être étranger. Pourquoi refusez-vous d'entendre raison ? Que ma sœur qui travaille comme serveuse sur une station orbitale se fasse peloter par un noble ce n'est pas normal, inacceptable même. Peu m'importe tous ces avantages que vous rabâchez Mercedes et toi dès que je lançais le sujet à la maison. Je refuse de subir une seconde de plus une injustice à laquelle tu aurais pu remédier. J'ai lu trop de d'articles de décision de justice pour ignorer que les nobles sont, et resteront largement avantagés par rapport à nous, les gens du peuple. C'est ta faute si je suis parti, si tu m'avais écouté et encouragé ma sœur à démissionner et à postuler pour un autre poste, je serais resté et je n'aurais pas trahi la promesse que je t'avais faite de ne pas m'engager.
Je crois que j'avais une idée surfaite du service militaire. Je passe mon temps à récurer les couloirs et à m'entraîner pour être au top le jour ou nous aborderons un de ces cabrons de pirates qui courent. Tu l'auras deviné, je me suis engagé comme troupier. Heureusement, je me fais des amis avec qui je mange au réfectoire. Je ne sais pas trop à quoi je pensais en m'engageant aussitôt que j'ai vu cette affiche de recrutement de l'armée. Sans doute à des aventures, comme il y en a dans les romans ou comme à un moyen de gagner de l'argent. Le Salvatore. C'est la corvette à laquelle j'ai été affecté, mais je ne peux t'en dire plus, de crainte de révéler des éléments des opérations en cours. Ils insistent beaucoup dessus à ce sujet si jamais nous voulions écrire à nos familles.
PS : je m'excuse de m’être emporté et d'avoir brisé ton vase préféré.
Porte-toi bien.
Au nom de l'Empereur, je te salue,
Gloire et Honneur.
LETTRE JAMAIS EXPÉDIÉE PAR SON AUTEUR.
Chère Maman,
Deux ans ont passé. Notre vaisseau se trouvait en bordure de la galaxie quand j'ai vécu mon premier abordage. Les raisons de celui-ci m'importent peu sinon que j'ai l'occasion de prouver ma valeur. De toute manière, je ne suis qu'un simple troupier, j'obéis aux ordres de ma hiérarchie point final. Je ne m'interroge pas sur eux mais une remarque m'a frappé, dont je parlerais un peu plus tard dans ma lettre. Cela n'a rien de glorieux. Une boucherie. Le Royaume a refusé de se rendre même après avoir été lourdement endommagé par le Salvatore. Le capitaine aurait pu se contenter de le transformer en épave, mais il a préféré aborder. Je te raconte comment ça se passe ; le vaisseau s'approche par l'un des flancs puis tire des grappins pour alpaguer l'ennemi ensuite, on rembobine pour le tirer jusqu'aux portes d'appontement et on fait la jonction. À partir de là, il faut se dépêcher de s'équiper de ses armes et de son bouclier portatif. Ça n'a rien d'un secret d'état. La porte se coulisse et un flot de fous avec le mot dieu à la bouche se déverse, on les prend de plein fouet, mais le chef dit de tenir bon. Je taillade, tranche de mon mieux, mais il m'a semblé qu'ils s'obstinaient à se sacrifier stupidement. J'ai vu un homme périr parce qu'il s’attendait à ce que son fanatique meure embroché sur sa pointe, mais au lieu de cela, il a continué à s'enfoncer la lame dans le corps pour atteindre son meurtrier et le tuer. Quelle saloperie. Je me sens tellement sale, mais on a gagné. À quel prix ?
J'ai entendu un vétéran dire que le capitaine n'aura pas du l'aborder et donner une chance à ces cabrons de trinitaires. Il ne devrait pas dire ça, mais il a raison d'une certaine manière. Leur Dieu leur a complètement retourné le cerveau au point de préférer la mort à la capture. Mieux aurait valu achever leur vaisseau plutôt que de subir des pertes. Cependant, je crois qu'il y a une raison plus impérieuse qui motivait notre capitaine : l'honneur. Donner une chance à nos ennemis de se rendre. Une porte de sortie honorable. Il n'y a rien de honteux à se rendre, de survivre si on s'est bien battus.
PS : on m'a expédié en Dorado avec une promotion. Je suis désormais caporal après deux ans de service !
Porte-toi bien.
En l'honneur de l'Empereur, je te salue,
Gloire et Honneur.
LETTRE JAMAIS EXPÉDIÉE PAR SON AUTEUR.
Chère Maman,
J'ignore ce que tu deviens toi et ma sœur. Pour tout vous avouer, je me sens lâche de ne jamais avoir trouvé le courage d'envoyer mes lettres. Je ne sais pas pourquoi, fur et à mesure que le temps passe, l'envie de les envoyer m'a quitté. Il doit y en avoir des centaines que j'ai écrite. J'ai perdu le compte au fil des ans. Je n'écris plus que par habitude. Dorado est un système en marge avec de nombreux forbans qui s'attaquent aux navires commerciaux. Nos principales missions consistent à escorter ceux-ci, mais nous avons des soucis de financements, et par effet boule de neige, nous sommes en manque de vaisseau à envoyer en Dorado en dépit des risques de confrontation avec les pirates, m'a expliqué l'officier Juarès quand je lui ai posé la question. (Passage supprimé par l'auteur après une courte relecture, la phrase dévoilant une faiblesse de l'Impérium en Dorado.) Il nous arrive de trouver des épaves comme celle du El Trinidad dans lesquels on trouve des corps affreusement mutilé et les autopsies font froid dans le dos. Des vrais animaux. Ils ont laissé l'intégralité des données avec les images des tortures de l'équipage. Glaçant.
Le capitaine rêve sans doute d'attraper les crevures qui ont fait ça. J'en rêve aussi. Toutes les nuits. Je crois que je vais me montrer très méchant quand je lui mettrai la main là-dessus. Et je ne le regretterai pas après avoir vu ces horreurs. L'Univers se portera mieux sans eux. En parlant de mettre la main aux méchants, on m'a nommé sergent après quatre années en tant que Caporal et donné la charge d'une petite section. J'ai du m'occuper d'un membre d'équipage particulièrement véreux. Je le suspecte de marchander de la drogue, mais je n'en ai pas la preuve. Pas encore. J'attends qu'il commette un faux pas, ou qu'il s'attaque à moi. On verra s'il est facile de me préparer un "accident" dont il parle. Oh oui. J'ai des yeux et des oreilles.
EDIT : nous faisons escale à Oscuro. Je viens d'apprendre que le gouverneur de Port-Salem a pendu ces animaux et envoyé confirmation par courrier diplomatique. C'est Juarès qui m'en a informé. Dommage. J'aurais aimé leur faire la peau et les passer par le SAS. Tu me trouves rude ? La pendaison te fait horreur ? Tu n'as pas vu ce qu'ils ont fait. Leur sort est réglé. Je ne ressens aucune pitié pour ces sauvages-là. Les vrais pirates ne sont pas des aventuriers romantiques en mal d'amour contrairement à ceux de ces stupides romans que lit Mercedes. Est-ce qu'elle les lit toujours d'ailleurs ?
Au nom de l'Empereur, je te salue,
Gloire et Honneur.
LETTRE JAMAIS EXPÉDIÉE PAR SON AUTEUR.
Chère Maman,
Je ne sais toujours pas pourquoi je continue de commencer par ces deux mots mes lettres. Où est-ce un journal que j'écris ?
On m'a désaffecté du Salvatore parce qu'on m'a donné le grade d'adjudant et que tous les postes associés à ce rang sont déjà pris. Du coup, on m'a renvoyé par la station warp rejoindre le Sol Bianca, une frégate basée dans un système proche de Tyrion. J'ai pensé rendre visite à Mercedes et à toi, maman, mais je dois prendre mes marques avec ce nouvel équipage, ce nouveau capitaine, ce nouveau vaisseau. C'est une femme, elle a pris la peine de descendre de sa cabine pour m'accueillir et m'entretenir en privé. Je sens que ce sera une bonne capitaine. Magdalena de la Torreda. Elle m'a réservé d'autres surprises au cours de mon service avec elle comme supérieur comme quand elle m'a demandé de chanter un chant funèbre en mémoire d'un technicien tué lors d'un incident moteur. On a eu chaud quand c'est arrivé. On aurait pu se faire réduire à l'état d'épave.
Il y a un bleu d'origine noble dans l'équipage. Je me montrerais plus exigeant avec lui. Il ne doit pas penser qu'il aura tout sur un plateau d'argent et garder les pieds solidement ancrés sur terre. Certes, il finira probablement Capitaine ou plus à moins d'une erreur gravissisme. Je vais l'étriller comme un poulain. Maintenant que je l'écris, je pense que l'équipage entier est un peu mes poulains à moi. C'est moi qui dois être leur médiateur auprès de leurs officiers supérieurs et moi qui dois maintenir la discipline.
Au nom de l'Empereur, je te salue,
Gloire et Honneur.
LETTRE JAMAIS EXPÉDIÉE PAR SON AUTEUR.
Chère Maman,
J'ai trente-sept ans a présent, et récemment nommé quartier-maitre. Je suis toujours affecté au Sol Bianca. Nous avons été affectés à la défense d'un système dont le général en chef est Tiérès. Les ragots qui courent le disent indécis et gérant le système en suivant les idées de ses subordonnées. Cela ne fonctionne pas si mal, mais c'est inquiétant dans la mesure ou une attaque se produirait. Mes doutes que j'ai gardés pour moi, un sous-off ne devant pas critiquer ses supérieurs, se sont révélés fondés. L'alarme m'a surpris pendant un de ces moments de paix où j'écoute une playlist de chanson comme dirait un type de l'UC. J'ai aussitôt retiré mes écouteurs pour écouter en me rendant à mon poste. Le message fut le suivant : qu'on venait d'apprendre que les trinitaires avait pénétré le système et que le général avait ordonné la retraite puis quelques instants plus tard, avait décidé de défendre le système. Une VRAIE girouette, ce type. Bref, le résultat fut que ces fous reçurent un aller simple en Enfer grâce au Colonel de la Moya. Nous avons échoué à défendre la station, mais nous les avons arrêtés. Je me rappelle chaque coup subi par le Sol Bianca comme si c'était hier. Chaque nom qui s'est ajouté à la liste des morts ce jour-là environ 82 membres d'équipage a été tué et 34 autres ont été blessés.
Nous avons ensuite été abordés par une frégate, le Saint-Nicolas à peu près épargné par le feu, mais nous avions un problème. Le maître d'abordage avait été blessé gravement au cours des échanges de coups de canon. Quelqu'un devait le remplacer. Ce fut moi qui en pris la responsabilité étant le seul sous-officier de mon rang à être indemne. Je n'ai rien d'un tacticien et l'on m'a simplement demandé de les repousser coûte que coûte. Je l'ai donc fait. En ramassant qui je pouvais dans l'enfer des couloirs clignotant et en prenant d'assaut le Saint-Nicolas. Je ne me souviens que trop bien de mon premier abordage et j'ai résolu de ne pas me contenter de tenir, mais d'attaquer. Ma décision m'a stressé avec la conscience qu'elle pouvait coûter le vaisseau au capitaine. De la Torreda comptait pour moi, je ne voulais pas la décevoir. Je me suis donc mis à entonner une chanson comme un ours. Je n'ai jamais eu une belle voix.
"Ils sont là,
Innombrables,
Chantant les louanges,
De leur Dieu de paix,
D’amour et de miséricorde,
Nous promettant,
Le baiser du fer,
La vie au prix d’un baptême,
Que choisirons-nous ?
Servir l’Empereur jusqu’au bout,
Ou bien,
Vivre dans le déshonneur,
Moi, j’dis,
Que si leur Dieu existe,
Qu’il les sauve de nos poings,
De nos lames et de nos canons,
Pour l’Empereur !
Pour l'Empereur !
Pour l'Empereur !"
Je les ai entendu reprendre ces derniers couplets et j'ai su qu'ils me suivraient jusqu'au bout. Peu importe l'issue de la bataille, de l'abordage désespéré que nous allons mener. Ces cabrons de fanatiques allaient souffrir. J'ai alors levé mon arme en même temps que la porte s'ouvrait. Du suicide. Ce sont des fanatiques, ils nous tueront tous. J'ai ajouté en chargeant l'équipage trinitaire. Je n'ai rien d'un tacticien.
"Vous ne passerez pas sale hijo de puta ! Vous ne passerez PAS au nom de l'Empereur ! Gloire et Honneur !"
J'ai survécu, mais ce n'est pas le cas de nombreuses autres personnes. On les a refoulés jusqu'au pont de commandement dont nous avions réussi à forcer l'ouverture. Il s'est ensuit un bref combat désespéré et nous tenions entre nos mains le capitaine trinitaire et deux de ses officiers survivants. Ce fut fini. Nous avions gagné. Ils ne pouvaient pas lutter contre la menace de vider l'oxygène du vaisseau. C'est drôle. Je relis mon récit de mon premier abordage et je sens le temps qui a passé, il est loin le jeune homme que j'ai été.
Au nom de l'Empereur, je te salue,
Gloire et Honneur.
LETTRE JAMAIS EXPÉDIÉE PAR SON AUTEUR.
Chère Maman,
La flotte a été dissoute. Nos supérieurs des hautes sphères ont été pris dans une affaire politique suite à l'escarmouche. J'en ai eu des retours par des rumeurs. C'est ahurissant, les accusations qui ont été portés contre certains d'entre eux comme le Colonel de la Moya. C'est une noble, mais elle n'est pas de l'espèce qui se croit tout permis et son palmarès démontre à mon sens clairement sa compétence. J'ai le sentiment que notre victoire s'est transformé en une amertume âcre dans ma bouche. Maudits, soit-ils. Ne pouvaient-ils pas chérir chacun de leurs morts et blessés au lieu de tourner en spectacle glauque notre bataille ? Ces hommes et femmes sont-ils morts uniquement pour ça ? Nous nous sommes battus, nous avons vaincus, mais nous nous demanderons toujours ce que nous aurions pu faire de plus. Toujours. Nous partagerons tout ce point commun. Moi, par exemple, je me demanderai toujours qui j'ai sauvé en menant cette action. Mais la seule chose que je saurais jamais, c'est le nombre de morts tué sous mes ordres. Cette affaire me souille. Me salit. Quelle bande charognard.
Mon Capitaine m'a convoqué pour m'informer qu'on me réaffectait en Dorado à cause de mon expérience du système de cinq années. Je vais devoir quitter le Sol Bianca, mes garçons, le Sol Bianca et son capitaine avec tristesse.
AU nom de l'Empereur, je te salue,
Gloire et Honneur.
LETTRE JAMAIS EXPÉDIÉE PAR SON AUTEUR.