Caractère
Difficile d'aborder clairement les facettes de la personnalité de Constance, c'est une jeune adulte très tourmentée, peu sûre d'elle et à l'humeur triste. Toutefois il y a quelques valeurs et réactions qui sont constantes chez elle.
L'altruisme. De par son éducation mais aussi sa générosité, Constance n'hésite jamais à faire passer ses intérêts en derniers. Elle donnerait tout ce qu'elle a aux personnes dans le besoin. Cette abnégation de soi ne vient pas uniquement de son enseignement. Il faut avouer que la jeune femme n'a que très peu d'estime d'elle-même. Elle se trouve déméritant pour toute chose, et ne supporte pas voir une personne souffrir dans le froid et la faim, la peine et la solitude. Connaissant la misère et la famine, elle ne souhaite pas laisser un individu dans cette situation.
Constance est également une jeune femme pleine de volonté. Non pas envers elle-même mais autrui, elle agit rarement pour son intérêt. Elle fera toujours en sorte d'honorer un travail, elle se donnera sans réserve. Elle n'aime pas décevoir. C'est quelque part un défi qu'elle se lance, elle n'aime pas ses compétences ni ne pense en avoir quelconques. Lorsqu'elles sont reconnues et appréciées par un semblable Constance commence à douter de son jugement sévère envers elle. Elle est presque heureuse lorsqu'on la fait travailler avec acharnement, elle y voit un signe de reconnaissance. Cela ne lui fait pas peur de rester des heures et des heures à la même tâche. Sa tête se vide, ses pensées sont chassées par l'objectif à accomplir. Elle s'oublie un instant. Constance n'est pas heureuse mais cesse d'être dans l'état opposé.
Sa discrétion et timidité ne sont en revanche qu'une apparence qu'elle a pris l'habitude de montrer. Bien sûr elle n'arrivera jamais à parler de ses profondes pensées avec une personne. Trop honteuse et timide pour s'engager dans de telles conversations. Mais pour la grande majorité des relations sociales Constance se montre timide car cela lui permet d'attiser une sympathie. Et puis globalement elle n'a pas envie de se faire remarquer, elle aime le calme et la tranquillité. Il ne s'agit pas d'un choix mais d'un élément qui lui a été imposé et dont elle a du s'accoutumer. Constance a peur de l'abandon, du rejet ainsi que du jugement d'autrui. Plutôt que de revivre ces événements elle ne préfère ne pas donner la possibilité qu'ils se reproduisent.
À cette description personne ne pourrait soupçonner le tourbillon de haine, de peine et désespoir qui se bat en elle. Constance est très souvent en peine, néanmoins elle ne s'en plaint jamais. Pas plus que ses conditions de travail. Elle ne pleure pas non plus. Ou seule devant l'Unique. Ce qui revient sensiblement au même. Constance supporte les douleurs physiques comme morales. Elle intériorise toutes ces choses, ses péchés, ses regrets, ses rêves au plus profond d'elle dans un monstre qui la ronge. Mais elle vous sourira.
Histoire
« J’ai besoin de vous confesser mes péchés. Je sais, je sollicite certainement trop de votre miséricorde et de votre pardon. Vous entendez ma voix chaque soir lorsque les étoiles viennent illuminer l’obscurité. Est-ce vous qui m'appelez ? »
Je passais ma main sur l’autel de l’Unique. Ô je vous en supplie, recevez mon âme en peine. Cela doit être difficile de savoir l’un de ses enfants perdus dans ce monde, à ne savoir qui il est, où il va et à tester vos limites. À vrai dire j’ai du mal à l’imaginer. Je ne connais ni l’amour d’un père ni celui d'une mère, je ne peux donc pas imaginer la joie et l'horreur de voir un enfant grandir. Oui les sœurs m'ont souvent dit que vous n'étiez qu'amour. Mais je n’ai jamais pu palper une présence, un signe ou une lueur de votre tendresse. Peut-être suis-je méprisée et rejetée par l’Unique… À cette pensée je me crispe et tombe à genoux sur le sol glacial, front à terre et ma voix se brise.
« Tout-puissant, vous le savez puisque que vous m’avez permis de retrouver une famille après la perte de la mienne. Ils sont morts, j’avais 4 ans. J’imagine que vous les avez accueillis dans votre demeure. Ils ne vivaient que pour vous rendre fier, longtemps avant eux un parent est arrivé dans ce système afin de poursuivre la voie d'évangélisation. Malgré les tensions et menaces d’autres factions ils tenaient bon. De génération en génération, ma famille de prêtre s’appliquait à reprendre vos saintes paroles. Bien sûr qu’ils ont tous une place dans votre demeure. J’étais jeune, 4 ans. Une enfant. »
J’eus un petit rictus. Ne suis-je toujours pas son enfant ? Suis-je encore trop immature ? J’ai refusé de me marier à l’Unique. Me punissez-vous pour cela ? Je relevai ma tête et regardai au ciel. Malgré le plafond peint d’une fresque je pouvais voir les étoiles briller.
« Je me souviens malheureusement que de peu de chose avant cela. Parfois il parlait avec son épouse, ma génitrice, de la situation en dehors du foyer. Parce que oui elle restait à la maison afin de s’occuper à prier, de la maison et parfois de moi. Elle entretenait également des relations avec d’autres trinitaires bourgeois. Ils discutaient des individus occupant ma terre natale. Petite je comprenais qu’ils étaient des êtres inférieurs aux animaux, des êtres sans âmes qui ne peuvent pas connaître miséricorde. Puis ils sont morts. Par ces êtres. »
L'espace d'un instant je ne savais plus quels êtres étaient vides de consciences. Mais cela me revient, ces hommes et femmes de chair et de sang ont un jour tenté de se rebeller contre leurs maîtres. J’eus une note amère à ce souvenir, pas que je regrette mes parents, je n'avais pas non plus vu la scène. Je les connaissais à peine, je ne peux pas regretter la mer si je n’y suis jamais allée. Je laissais ce silence durer, le temps de rassembler un semblant de pensées dans mon tourbillon de hantise.
« Seigneur, vous m’avez donné une seconde famille. Un couvent pour orphelins. Je n’y étais ni bien ni mal, tout trinitaire doit témoigner de sa foi et je sais qu'ils nous faut vous prouver notre dévotion. Alors j’ai prié. J’ai prié pour votre salut. Plusieurs fois par jour. J’ai appris à chanter pour votre gloire, à jouer pour vous. Les sœurs m’ont appris à entretenir des lieux, à donner de soi, à accueillir la misère et les peines, être pieux, à être punie pour mes fautes, mais jamais à recevoir l’amour. Par ma condition de femme, qui dans mes souvenirs enrageait mon géniteur car enfant unique, je n’ai pas eu le droit à l’E-cole. Mes parents voulaient un prêtre, ou évêque. Ils en avaient les moyens mais je les ai déçus. Cela dit au couvent j'ai pu apprendre à être l'épouse attendue pour l’un de vos porte-paroles ou pour vous. Mon Seigneur. »
Une larme s’échappait de ma joue et alla s’écraser sur le sol. Mes yeux contemplèrent un instant cet aveu de faiblesse et imperfection. Il le savait. L’Unique, qui sait-tout, qui voit-tout, savait ce que j’allais dire. Il devait l’attendre. Durant mon apprentissage au couvent j’ai souvent demandé pardon sans confesser mes plus sombres péchés. Mais il attendait à ce que je dépasse le dégoût que j'éprouve. Mais je n’étais pas dégouttée de mes péchés. Ce n'en était pas toujours. J'étais et demeure écœurée que l’Unique ait laissé cela se produire sur son enfant. Pleine de colère qu’il n’ait rien arrêté. Comment peut-on laisser son enfant se noyer, attendre qu’il soit méritant ? Attendre une preuve de force alors que nous lançons un appel à l’aide. Cela n’a pas de sens Seigneur !
« Pourquoi… Je n’étais point une femme. Même une femme ne doit subir cela. Pourquoi un homme qui est un monstre est appelé un saint ? Ne voient-ils rien ? J’ai vu. Il avait demandé une fille. Pour la bénir. J’étais l’orpheline dont les parents avaient suivi la foi depuis des générations. Naturellement j’étais toute désignée ! Seigneur, est-ce que c’était vous derrière cette épreuve ? Que devais-je faire ? Mordre cet homme ? Le frapper ? Implorer sa pitié ? Savez-vous que vos enfants en font du mal à d’autres ? Comment se défendre d’un homme de la cinquantaine quand l’on a 12 ans. Vous savez ce que j’ai fait ? Je regardais les étoiles et cherchais votre regard, votre compassion. Je pleurais. Il est revenu quelques fois et je ne levais plus les yeux. Ils étaient vides à vrai dire. Je savais que vous ne viendriez point pour mon salut. »
Désormais je fixais des yeux l’autel, un poing serré sur le cœur. Je ne dois pas déverser ma colère. Non, ce n’est pas ce dont je veux qu’il en ressorte. Était-ce des épreuves ? Quelle que soit la réponse, je ne peux plus montrer la faiblesse d’une femme ou d’une enfant. Je ne sais plus très bien où j'en suis. Mais je sais que les faibles sont font exploiter. C’est un camp perdant.
« Seigneur. J’ai cherché vos limites, j'ai cherché la vie, j’ai cherché la liberté. Je voulais partir de ce lieu où je recevais coups de bâton quotidiennement. Je voulais partir de ce corps qui ne m’appartenait plus, souillé et changeant. Je voulais partir de cette vie, mais j’avais peur de ne plus avoir de repères. Où peut aller une gamine de 14 ans ? Clémentine avait les mêmes envies. Mais on avait trop peur de fuir. Alors on sortait sans se faire attraper, enfin généralement. On vagabondait dans les rues, la nuit, on voyait le monde extérieur. On a découvert tout un tas de choses, des machines qui volent et permettent de se déplacer, des lieux où des gens se rendent pour s’amuser entre amis. On a aussi vu les êtres sans âme. Ils se font martyriser, je pensais jusque-là qu'elles étaient des coquilles vides. Une réplique de vos enfants, sans votre insufflation divine. Jusqu'à ce que l'une d’entre elle se prosterne et parle. Je ne comprenais pas les mots, sa langue m'était étrangère, en revanche j'ai compris le fond de ses complaintes. Elle suppliait qu’on cesse de lui faire autant de mal, et en larme, elle demandait à ce qu’on laisse ses enfants en liberté. Elle fut tuée et les deux rejetons réduit en esclaves. »
Ma gorge se serrait. C’était à cette période que tout a réellement basculé, j’ai douté, j’ai remis en question. J’ai péché, j’ai perdu la foi et je me suis détournée de la voie. Même si cela remonte à des années, je n’arrive toujours à savoir si je suis dans l’erreur ou non, si mon chemin est le bon. Suis-je une hérétique, est-ce que l’Unique n’est qu’une fabulation ? Ooh.. Rien que cette pensée me fait encore frissonner. J’ai peur de me retrouver seule, d’être brûlée, pendue ou perdue dans l’univers. J’ai peur d’errer sans but, d’avoir une vie vide et de ne croire qu’en la déchéance. Ou pire. Ne croire en rien.
« Tout-Puissant, j’ai douté de vous. Pourquoi avais-je des châtiments sans péché ? Des mises à l’épreuve ? Pourquoi ôter la vie de l’agneau naissant, pourquoi le livrer aux loups alors qu’il a besoin de la protection du père et de l’amour de sa mère ? Est-ce que ma naissance était un péché ? J’aurais dû être un homme c’est cela… Mes parents le désiraient, je les ai déçus et ai condamné ma naissance alors que je ne voyais le monde. En sortant j’ai vu des personnes dont la foi ne les touchait point, ils ne croient pas en votre existence et en les écoutant ils n’avaient ni plus de peines, ni moins d’amour. J’ai cherché à provoquer votre colère, à découvrir une vie en dehors du couvent. Clémentine était mon aînée de deux ans, nous avons exploré nos corps. »
Cette fois-ci, ma gorge fut incapable de continuer. Est-ce que cela me manquait ou est-ce que cela me répugnait ? Je ne saurais dire. Un élément m’est profondément instruit, on appelle cela être hérétique. Je l’ai été, je n’ai pas été châtiée. Je ne sais plus si j’aimais exposer cela sous les yeux de l’Unique afin d’attiser son jugement, s’il y avait l’excitation d’être dévoilée aux yeux du couvent et brûler, ou parce que je l’aimais. Je m’y été attachée, nous étions les deux seules perdues, et dans la déchéance nous nous sommes trouvées et soutenues. Je me demande souvent si je n’avais pas été en peine, aurais-je eu un regard sur elle ? Bien sûr que non. J’essaie de me persuader que ça ne serait jamais arrivé, c’était une erreur. Un doux égarement aux saveurs mielleuses.
« Vous me l’avez pardonné ? Pensez-vous que cela est parce que je suis jeune ? Une bêtise de jeunesse ? Je suis orpheline. Et les orphelins ne sont jamais jeunes. En ville nous avons connu d’autres enfants qui ne partagent pas la même culture mais de familles modestes. Nous ne disions mots sur notre provenance. Une honte ? Nous cachions nos vies pieuses. Nous avons réalisé assez rapidement que le couvent et la famille était très différent. Nous ne jouons que peu, maman ne raconte pas d'histoire avant de dormir, papa ne rend pas maman hystérique parce qu'il fait des sottises. On les appréciait bien, d'un côté, ils nous partageaient leurs souvenirs d'enfants. Mais les amitiés sont dangereuses. Nous sommes toujours déçus. Comme elle a dû partir dans un autre couvent, elle vous avait choisi. Vous. Vous qui ne lui avez rien donné, vous qui lui avait tout pris, dépossédée de biens et pensées pour ne lui laisser que sa foi. Que peut-elle faire ? Prier sur un sol glacial ? Non pas comme moi, je ne vous prie pas. Pourquoi devrais-je vous prier ? J’ai vu ce qui est fait à ce peuple. Nous lui avons pris leurs terres, leurs maris et leurs femmes pour en faire des esclaves. Je les ai vu crier de douleur, pleurer. Ils pensent, j’en suis sûre, ils ont des émotions. La miséricorde n'est-elle point un de vos enseignements ? La compassion et l’amour ? Comment nous garder vous si proches en étant si loin. L’absence est une présence ? Je vous cherche mon Seigneur. Je suis désespérément en quête d’un de vos signes. C’est pour cela que j’ai refusé de me marier à vous. J’ai demandé à partir en pèlerinage. Depuis je n’étais jamais revenue sur un autel mais j’ai continué de prier pour vous. Pour qu’une chose se produise, pour que vous anéantissez ma peine, ma douleur. Mais rien ne s’est passé. Cela fait trop longtemps que je suis partie, je n’ai plus le droit de revenir à Paradis. Il m’est interdit, je crois … Je ne sais pas où je vais … Répondez-moi je vous en supplie … »
Depuis mes 17 ans je suis partie du couvent, 5 ans à errer dans le système. Je voyage en monnayant des services et ma prétendue foi. Mais j'ai peur de retourner en Renaissance, plus précisément à l'astroport Paradis. Que pourrais-je y trouver ? S'ils me voient, je ne sais pas s'ils me cherchent peut-être suis-je oubliée ou morte à leurs yeux, ils mettront fin à mon long pèlerinage et me demanderont de devenir une épouse. Ce lieu m'effraie, il me pèse d’amertume et de dégoût... Dans mon errance dans le système j’ai appris avec l’expérience à reconnaître ceux qui vous veulent du mal, ceux qui vous sont indifférents, et parfois ceux qui sont de bonnes personnes. Mais elles me font peur, l’attachement me fait peur. Je le hais. On se berce dans un doux sentiment de sécurité et l’on devient incapable de voir la faux arriver. Je suis usée de m’égarer, je ne crois pas en mes convictions, je ne crois pas en ma foi, je ne crois pas en mes capacités. Je ne vois pas l’Unique parce que je ne vois pas mon père. Parce que je ne vois pas ma mère. Je ne les connais pas l’amour, la compassion… Mais. Je reconnais bien que la foi et mon statut de trinitaire en pèlerinage m’aide dans mes déplacements, même si je suis qu’une inconnue dans le lot. Parfois des gens sont fanatiques et voient en moi l’enfant de l’Unique. Ils m'offraient tout, ils sont ignorants et me prennent parfois pour une sorte de porte-paroles. Seigneur, parlez-vous ?
« Je ne crois pas en vous. Je doute même de votre existence. »
Sur ses dernières paroles je me levai, corps endolori par les longues minutes restées prostrées sur le sol. Titubante, je sortais du lieu sacré afin de rejoindre une taverne où j’étais hébergée et faiblement nourrie contre service. Ce soir je partirai. Ce lieu me pèse désormais.