« Lawrence...Lawrence....hey, Law... »« ELEVE DAWIND ! »Je lève la tête de la page que je fixais depuis trois bonnes minutes pour tomber droit sur le torse de mon officier instructeur. Joli le torse. Plat, solide, on devine les abdominaux sous la chemise de fonction mais il n'a pas la disproportion de ceux qui prennent des comprimés pour faire gonfler leurs muscles. C'est du naturel et du travail. Je continue à lever les yeux – ce qu'ils sont grands dans l'armée – et regarde finalement mon professeur. Il n'a pas l'air content, je vois ses iris marron noircir de colère. Je sens la corvée à la con arriver et pourtant je n'arrive pas à m'en empêcher. Il est tellement en pétard, que je dois me mordre la lèvre pour m'empêcher d'éclater de rire. Je crois que ça se voit parce qu'il devient tout rouge. Merde, merde, merde. Si je déconne encore cette semaine, ils vont écrire à mon père et je vais me prendre la rouste de l'année. Et pourtant, ça me calme pas. Il faudrait que je pense à des trucs pas drôles. Poker-face, poker-face.
« ELEVE DAWIND, REPETEZ CE QUE JE VIENS DE DIRE ! »Avant ou après que vous ayez hurlé mon prénom ? J'arrive à retenir la réplique avant qu'elle ne franchisse mes lèvres, ouf. Et je répète mot pour mot son truc à la con sur les calculs de coordonnées courbe en hyper-espace. Ce n'est pas parce que je n'écris pas que je n'écoute pas Sergent Ducon. J'aurais du écouter mon père tiens. Il m'avait dit que l'armée ce n'était pas pour moi. Mais comme d'habitude je n'en avais fait qu'à ma tête.
« Mais si p'pa voyons, tu vas voir, j'vais finir major de promo. »« Fini déjà la promo et on en reparlera. » qu'il avait grommelé, impuissant devant mes choix de carrière. Il peut parler, le gars il est colonel. D'ailleurs ça me plombe ça, le Colonel Dawind, le Colonel Dawind, ils ont que ce mot à la bouche. Pourtant, c'est pas le haut gradé le plus médaillé de l'armée, hein. Mais voilà, j'suis fille de, donc faut que j'assume. Je flirte un peu ? Honte sur mon père. J'ai une mauvaise note ? Honte sur mon père. J'ai une bonne note ? C'parce que j'ai eu mon père en professeur. J'fais une connerie ? Honte sur ma vache.
Alors ouais, je confirme, je finirais pas major de promo. Je suis dans le premier tiers à peu-près et mes appréciations sont pas si mauvaises tous comptes faits. J'ai de bonnes bases théoriques, je pige vite, j'ai des bons réflexes, et je suis bonne en sport, contre toute attente. Je bosse dur, moins dur que d'autres, plus que certains dirons nous. A la base, je voulais faire un truc prestigieux genre Maître d'Abordage par exemple, avec de la tactique partout ou encore Artilleur mais sérieux, je ne sais pas ce qu'ils ont les artilleurs, on dirait qu'ils sont tous frappadingues. J'adore tirer au blaster. Presque autant que de me commander une nouvelle robe. Mais c'est bon quoi, exploser le monde, je vois pas l'intérêt.
C'est ma mère qui est dépitée en réalité. Il faut dire que je suis fille unique. La prunelle de ses yeux, déjà qu'elle pensait pas m'avoir, qu'il a fallu des tests et l'aide de la science pour me concevoir...et puis la grossesse mouvementée avec un père en mission l'UC sait où... et puis moi finalement, une fille, et ouais. Elle s'imaginait déjà les bals, le mariage et tout. Alors soyons clairs, je n'ai RIEN contre les bals. Par contre, je n'ai pas trop le caractère de la femme trophée. Je suis trop affirmée pour ça. D'aucun diraient rebelle mais pas vraiment en fait. Quand on me prend pas par surprise, j'arrive à suivre les règles. Malgré mes écarts, je n'ai aucune remarque du côté de l'indiscipline. Certes, je fais des bêtises, je cherche mes limites mais comme les autres en fait. Je suis le Cadet Dawind, dix-sept ans, apprentie navigateur pour l'Union, ma vie, mon œuvre, tout ça.
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« Lawrence...Lawrence....hey, Law.. ».Je tourne la tête et tombe dans l'océan de ses yeux bleus. Il a trente ans, j'en ai dix-neuf. Il a la peau burinée par le soleil de Renaissance, des cicatrices que j'ai parcourues de tous mes doigts, il a le regard le plus intense du monde mais malgré la nuit que nous avons passée ensemble après deux semaines à nous tourner autour, ce n'est pas à lui que je pense. Il semble s'en rendre compte et sa paume rêche caresse ma joue.
« Dawind ? »« Pardon Joshua, j'avais l'esprit ailleurs ? »« A quoi pensais-tu ? »Son ton est aguicheur, je sais ce qu'il veut que je lui réponde. Je ne sais pas quoi lui dire. Comment fait-on pour expliquer à un garçon que voilà voilà, c'était bien sympa et je suis content que t'aie été mon premier mais là tout de suite, ce qui me trotte dans la tête c'est le théorème de l'inertie rotative ? Il est gentil, je ne veux pas le blesser. Je ne pense pas qu'il soit amoureux de moi, quoi qu'il en dise. Je suis une jeunette et c'est un vieux loup de mer. Pirate qui plus est. Mais ça, ce n'est rien, j'ai pas mon uniforme sur moi, je suis en vacances sur Hope avant de retrouver mes premières immersion en vaisseau. Je fais un petit baiser au creux de sa paume. Il m'attire à lui. Je pose ma tête contre son cœur. Il bat fort. Il ne sera pas blessé par des mots, hein ?
« Ecoute Joshua, je crois que ce serait mieux si on s'évitait d'ici la fin de ta perm. »Serrée comme je suis, je sens tous les muscles de son corps se raidir. Il devient super froid. Pourquoi fait-il ça d'un coup ? Je relève la tête vers lui, il est fermé, il ne dit rien, il roule et se rhabille, sans un mot. Avant de partir, il a laissé de l'argent sur la commode. J'ai envie de pleurer d'un coup. Pourquoi j'ai fait ça ? Je ne sais pas. Je pensais que ce serait amusant de jouer un peu. Je ne trouve soudain plus ça drôle du tout.
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« Lawrence...Lawrence....hey, Law.. ».
Je ne réagis pas. Autour de nous, un carnage. Il y a du sang partout, des gens qui gémissent, la puanteur du chargement qui parle dans une langue que je ne connais pas. Comment est-ce qu'on peut traiter des êtres humains comme du fret ? L'idée me paralyse et, soudain, une douleur intense me traverse le corps de par en par.
« Bon sang Dawind, qu'est ce que tu fiches ? »Les lumières se rallument dans le simulateur et je vois mon équipe froncer les sourcils. J'ai encore oublié d'écouter ce que me racontait l'instructeur. Et merde. Les officiels derrière la glace doivent s'en donner à cœur joie. Mais l'odeur ! Mon dieu l'odeur. Je ne l'oublierais jamais. Je regarde mon équipe, l'air désolée mais hoche la tête à nouveau. Si seulement j'arrivais à me corriger de cette rêverie qui me poursuit sans arrêt. Mais il n'est pas temps de penser à ça. Je remets mon casque, rentre à nouveau les coordonnées de l'exercice.
« Allons les gars, on remet ça. » Je les entends grommeler derrière mais devant moi, on hoche la tête approbateur. Ne jamais rester sur un échec. C'est aussi ce que je suis.
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« Alors ainsi, Darwind, vous voulez quitter l'armée régulière, c'est bien cela ? »« Oui Commandant Ramstaff »« Pourquoi ? »« Je ne pense pas être faite pour cette voie, Capitaine. Je suis reconnaissante envers l'Union qui m'a tout apporté mais les exigences du corps militaire demandent une discipline qui m'empêche de m'épanouir pleinement. »Je le vois ouvrir mon dossier. Je ne sais pas trop pourquoi il est là si ce n'est que c'est un ami de mon père et qu'il aurait quelque chose à me proposer qui pourrait me convenir. J'ai vingt-quatre ans à présent. J'ai terminé mes études, je me suis décroché un grade de lieutenant. Plus jamais je n'ai freezé au milieu d'une bataille et j'ai pu gagner le respect de mes camarades. J'ai appris à commander. Même à obéir. Mais il y a quelque chose dans la stricte discipline de l'armée qui m'étouffe. J'ai besoin de plus de confiance, plus de liberté. Quelque chose brûle en moi qui m'empêche de rester dans cette voie. Et puis je me suis fait une raison. Je n'ai jamais été major de promotion. Je ne finirais pas Colonel comme mon père. Il est temps de chercher ce que je veux pour moi.
« Votre dossier fait en effet mention d'écarts de conduite mineurs. Rien de déshonorant. Je suis plus inquiet par les notes sur votre étourderie manifeste. Est-il vrai que vous êtes une fois venue en simulation en chaussettes ? »« J'étais en fin de permission lorsque le rappel à sonné, Capitaine » et je cuvais une sacré gueule de bois il fallait bien l'avouer
« je ne trouvais que mes talons et, plutôt que d'être déséquilibrée, j'ai préféré être ridicule. On y survit mieux. »Il semble comprendre, à défaut de cautionner et il part dans un monologue. Je décroche assez vite, regardant autour de moi la salle du bâtiment dans lequel je suis. Je me demande ce que cela fait de faire partie intégrante d'un vaisseau. Pas seulement pour un stage mais totalement. De le connaître sur le bout des doigts. De ne jamais changer de camarades. De partager de vrais moments de vie ou de mort.
« Lawrence...Lawrence....hey, Law.. ».Je cligne des yeux, il s'est mit à ma hauteur soudain et soupire. On a beau être formels, il me connaît depuis que je suis née, cet ami de mon père et il sait mieux que moi les pensées qui m'emprisonnent parfois. Sa main se pose sur mon épaule. Je lui rend son regard et me concentre sur sa voix histoire de suivre un peu.
« Ecoute, j'ai peut-être un poste pour toi. Ca veut dire tirer plusieurs ficelles mais...je dois bien ça à ton père. Tu vois, il y a ce navire pirate, l'Albatros. On t'en a parlé à l'académie ? »Comme toujours lorsqu'on me pose ce genre de question, les cases se remettent en place toutes seules dans ma tête.
« C'est un navire pirate autrefois commandé par le Capitaine Di Roza. Il faisait surtout dans le trafic d'information. En 99 il s'est fait prendre par le Capitaine Charley du Flare, Di Roza a été exécuté pour des raisons diplomatiques et sa fille, Capitaine Alvarez a pris sa place. Il travaille à présent comme corsaire à la solde de l'Union sous les ordres du Capitaine Charley. »« C'est bien ! » Il a l'air surpris. Mais je me renseigne moi Môssieur. Pour le coup, il me vexerait presque. Sauf qu'il a l'air gêné et que c'est mignon.
« C'est là que je veux t'envoyer. Ils ont besoin d'un chef Navigateur. Tu me parais un peu jeune pour être promue officier mais je pense que ça ne peut te faire que du bien et si tu arrives à convaincre ta future capitaine, cela serait un boost pour ta carrière. »Euh... moi ? Corsaire ? Je n'y avais jamais pensé. Pour un ancien navire pirate en plus. Je suis d'abord ravie mais rapidement les implications me reviennent en pleine face. Merci cours de tactique hein. Je penche la tête, hésitante, puis me jette à l'eau.
« Ce serait génial, Capitaine mais vous n'attendez pas de moi...je veux dire, si je jure allégeance à Alvarez, ce n'est pas pour la dénoncer à Charley vous comprenez ? Je ne veux pas être vos yeux ou vos oreilles. J'aime ma faction, et tout mais la duplicité...sérieusement, vous m'avez déjà vue jouer aux cartes ? »Il rit. Il m'a vue je crois, j'ai la pire poker-face de la galaxie, facile. Et il n'a pas l'air fâché par ma franchise, c'est déjà bien. Parce que bon, autant j'ai confiance en mes capacités pour commander et naviguer (j'adore ça le calcul de trajectoire, traitez moi de geek si vous voulez), autant la duplicité, pas ma tasse de rhum.
« Non, nous n'avons pas besoin de toi pour surveiller ton capitaine. Nous voulons surtout qu'elle se concentre sur son objectif principal » Capturer le Nemesis, nous le savions tous mais ne voulions pas le mentionner.
« et nous voulons qu'elle le fasse dans les meilleures conditions possible. Tu es jeune mais sous sa férule tu pourrais apprendre et peut-être nous revenir par la suite. » C'est là que je comprends. Ils ne me croient pas quand je leur dit que j'ai besoin d'air. Ils pensent que c'est une fin de crise d'adolescence. La petite Dawind qui s'affranchit de papa. Certes. Mais pas que, mon gars. Pas que. Est-ce que je me vois corsaire moi ? Pourquoi pas après tout. Lui il a continué à causer.
« ...et nous avons confiance en toi pour être loyale aux deux mondes. »Génial. Le cul entre deux chaises mais au moins pas de rapports secrets à faire, je suppose que c'est déjà ça.
***
Cela fait un an que je suis sur l'Albatros. Ca n'a pas été facile au début. D'abord parce que j'étais pistonnée, presque imposée à l'équipage. Jeune. Fille. Rousse. Officier. On me connaît pas. Et de l'UC en plus. Parce que je n'ai pas voulu cacher mes études. J'ai joué cartes sur table. Oui j'ai fait l'école miliaire. Non, je ne leur doit plus rien, toutes mes études ont été payée, mes années de service ont été rachetées – merci papa – et non, je ne suis pas une espionne. Croix de bois, croix de fer, si je mens, jetez moi à terre. Mais je m'accroche. J'ai cette chance d'être plutôt sympa comme fille quand on est pas trop susceptible. Et je connais bien mon boulot, vraiment. Et, surtout, j'aime cette vie. C'est nettement plus cool que l'armée. Je reste utile à ma faction, je fais de mon mieux pour plaire à mon capitaine, je me doute bien qu'on me surveille encore mais ça ira. J'ai confiance.