Elevation [Lucien]

Les voies de l'Unique sont impénétrables, c'est une chose que l'on entend facilement. Je trouve plus juste de dire que Ses miracles sont imprévisibles. Aussi quand mon quartier-maître annonça quitter la Pierre au Fusil pour s'occuper de ses trois nouveaux enfants, dont deux étaient malades, je su que la main de l'Unique avait touché la Pierre au Fusil.

Me rendant au temple Inquisitorial pour prier et m'ouvrir à Sa clairvoyance, j'y consacrais trois heures entières, dont je ressortis en nage, la jambe douloureuse et la gorge irritée. J'avais été honoré de deux signes : il serait proche de l'Inquisition et serait lié à une plume. Telles avaient été mes visions accordées par notre Père céleste.

Suivant mon instinct et parcourant minutieusement mes dossiers, je passais la quasi-totalité de mon temps dans les archives Inquisitoriales, recherchant celui qui me fut désigné par l'Unique. Nombreux étaient ceux que j'aurais pu choisir comme Quartier-maître. Les pieux et compétents n'étaient pas si rare, et j'avais le don pour tirer les hommes le meilleur d'eux-même. Toutefois de mes recherches il ne restait que deux noms : Lucien De Faucourt et Joseph Meunier. Si j'avais une préférence pour Joseph : plus âgé, versé dans la littérature, passionné d'histoire et tirant de véritables miracles des leçons d'hier et d'alors. Je ne négligeais toutefois pas les signes de l'Unique et donnais rendez-vous à De Faucourt au salon des archives Inquisitoriales.

La bâtisse de bois clair et blanchi était décoré de feuille d'or, de tapisseries inestimables, de tapi magnifiques. L'odeur de cuir, de verni, de cire, d'encre et de papier saturait l'air. Dans cette pièce semblait se réunir toute la puissance et l'intelligence de L'Inquisition : C'est en général ici qu'Investigateurs et Juge Inquisitoriaux échangent sur les affaires. Aujourd'hui ce serait une toute autre affaire qui serait discutée, l'avenir de la Pierre au Fusil se jouait.

Installé à une riche et courte table, j'avais l'espace d'étaler mes parchemins, mon encrier et mes plumes. Stylisée, elle affichait un habile mélange de la Culture Trinitaire intra et extra Dorado.

Quand enfin on frappait à la porte, je me levais péniblement de ma chaise, canne en main, afin d'accueillir Père de Faucourt.

> Entrez mon Père.  Dis-je tout en assurant la position de ma canne, pour une meilleure stabilité et donc tranquillité d'esprit. L'on m'avait décrit Père de Faucourt comme ayant une bien jolie plume, une belle calligraphie et une sensibilité à l'art assez surprenante. Alors que la porte s’entrebâillait, je me demandais si la Plûme aurait avoir avec ses tatouages. question qui me fut en partie arrachée quand le-dit Prêtre m'apparut.

> Bonjour mon père, c'est un plaisir et un honneur de vous recevoir. Pour quelle raison pensez-vous être ici ?

Être à l'heure, c'est être en retard. Ça, c'était les paroles de Père. L'Unique attends jamais pour un simple mortel, qu'importe son service rendu à son nom. Fraîchement sorti de ma formation d'Inquisiteur, il fallait que je commence la vraie tâche envers notre Père Céleste. Bien évidemment, la nouveauté ne vous donne pas les avantages de l'ancienneté. Donc, je suis rendu en Dorado pour accomplir la volonté de l'Unique.

J'ai été dernièrement approché par le Capitaine de la Pierre au Fusil, Monseigneur Lodewijk Lazare. Juste par ce nom, il est clair que c'est du sérieux... Lorsqu'on a affaire à l'Inquisition, surtout Je devais me rendre au Salon des Archives Inquisitoriales pour un rendez-vous avec Monseigneur Lazare. J'étais donc présent dans l'édifice depuis déjà une quinzaine de minutes.

Mon nom est fusé de l'autre côté de la porte et je la pousse pour me présenter dans la pièce. Bien évidemment que mon entrée n'est pas une surprise et que Monseigneur est déjà familier avec ma personne... Dans les dossiers, du moins. Désormais, c'est le moment de briller un peu dans cette étrange entrevue.

- ''Tout l'honneur est pour moi, Monseigneur. Je ne souhaite pas faire de faux pas en devinant la raison de ma présence ici, mais j'imagine qu'en étant un nouvel Inquisiteur pourrait signifier quelque chose...'' dit-il.

Vaut mieux laisser le plaisir au Monseigneur Lazare de justifier les raisons de sa convocation. Il n'est pas forcément agréable de se faire arracher ses mots du bout de son bec...

Le Père de Faucourt se présente, aussi prestement que s'il était à attendre derrière la porte, celui-ci se montre très prudent. Était-ce là une expression de la politesse extra-Doradienne, difficile de le savoir.

Alors que le père s'approche, je constate que comme beaucoup des enfants de l'Unique, il est plus grand que moi. Certes pas aussi imposant que Père Vérité, mais d'une belle stature tout de même. Cela ne me dérangeais pas, j'en avais l'habitude après tout, j'étais toutefois curieux de voir comment cet homme réagirait d'être contraint de regarder son supérieur de haut.

> Prenez place, je vous en prie. Alors que le prêtre bougeait, je ne pû empêcher mon regard de s'accrocher au tatouage qui dépassait de son col. Je ne su tout d'abord comment lire cela : était-ce une provocation à mon égard ? Un manque de tenue ? Ou peut-être simplement un écart culturel.

Réajustant mon propre col, je me laissais retomber dans mon siège, avec un grognement de douleur à cause de ma jambe faible. Ravalant rapidement la douleur, qui m'était plutôt coutumière, je posais sur Lucien de Faucourt un regard scrutateur :

> Vous êtes nouvellement promu Inquisiteur, en effet et vous êtes nouvellement arrivé en Dorado. Laissant le silence s'installer brièvement, je repris mon propos : Vous m'intéressez mon Père, une bénédiction et malédiction selon les rumeurs de mon équipage. Un sourire mesuré, modérément amusé. Qu'êtes-vous venu faire en Dorado mon père ? Qu'est-ce qui vous a attiré ici ? Demandais-je, réellement intéressé.

Étrangement, Monseigneur Lazare semblait beaucoup moins impressionnant que selon les rumeurs qui rôdaient autour de lui. Pourtant, il ne fallait pas s'arrêter à sa petite taille pour savoir qu'il est tout à fait redoutable. En suivant l'invitation de ce dernier, je pris place devant son bureau.

- "Je vous en remercie." dis-je , en m'assoyant.

En écoutant les dires de Monseigneur, je sourcilla légèrement. Je ne comprenais pas forcément en quoi je pouvais être considéré comme une bénédiction ou une malédiction... Il l'expliquera sûrement.

- "Je ne vois pas en quoi je suis tant passionnant, Monseigneur." répondis-je. "De plus, les raisons de ma venue en Dorado sont très simples. Premièrement, la parole de l'Unique n'attend qu'à être propagée et deuxièmement, ce système si rude est un bon endroit pour me forger un nom après mon arrivée récente dans l'Inquisition."

La réponse de Lucien ne me plu pas, je la trouvais à minima déplacée.

Relevant doucement le menton, je lançais d'une voix tranchante et froide :
> Ne croyez pas, Père De Faucourt, que nous vous attendions pour porter le dogme Trinitaire en Dorado. Surveillez vos propos et n'oubliez pas que vous vous adressez à un Évêque. Peut-être êtes-vous habitué à plus de faste avec ceux que vous avez côtoyé par le passé, mais ne vous y trompez pas : Les Évêques Doradiens ne sont pas de seconde zone.

M'éclaircissant la voix, je fis tinter une petite clochette, apparu alors la frêle silhouette d'une servante qui disparu aussitôt que je lui eu commandé deux verres et un pichet d'eau.

> Toutefois j'apprécie votre modestie à sa juste valeur, mais soyez certain que je ne m'intéresse pas à n'importe qui. Saisissant le dossier au nom de Lucien de Faucourt, je le glissais symboliquement devant moi, sans toutefois l'ouvrir. Vous êtes un prêtre chevronné, mais un jeune Inquisiteur, deux éléments que je considère comme des qualités sous mon commandement. Le laissant s’approprier l'information, j'accueillis avec bonheur le verre que l'on m'apportais et l'eau que l'on y versa.

> Vous êtes ici par ma volonté, guidé par l'Unique en réponse à mes prières. Si vous vous en montrez digne, mon Père, je ferai de vous le quartier-maître de ma Frégate Inquisitoriale. Donnant un peu de majesté à mes mots, je portais mes mots comme si j'énonçais une prophétie.

Je n'étais pas à ce point aveugle pour comprendre qu'il vient d'avoir une certaine incompréhension dans le dernier échange. Je venais clairement de l'irriter avec mes paroles et j'allais y remédier avec minutie et diplomatie.

- ''Excusez-moi, Monseigneur. Ce n'était aucunement de ma volonté que vous interprétez mes dires de cette façon. Je respecte le travail Trinitaire déjà accompli en Dorado. Je viens simplement poser ma pierre à l'édifice. Je considère que n'importe quel Évêque ici n'a pas la tâche facile et se doit d'être compétent. D'ailleurs, vous en êtes clairement la preuve.'' dis-je.

Lorsque la servante arriva à l'intérieur de la pièce, je la suivit du regard, simplement la regardant faire. Je ne suis pas du genre à ignorer mes alentours, mais bien de rester sur mes gardes... Il faudrait quand même pas que ma tenue finisse mouillée avant la fin de cet entretien.

- ''Je suis honoré par les termes que vous utilisé sur ma personne. Je ne me considère pas forcément comme tel, mais bien plus comme un humble serviteur de l'Unique. Je peux vous assurer d'une chose, je serai des plus enclins à accomplir les tâches que vous m'offrirez, avec la volonté de réussir à n'importe quel prix.'' ai-je rajouté.

- ''Monseigneur, avez-vous besoin que j'accomplisse quelque chose comme une assurance ? J'imagine que vous avez besoin de preuves qui prouvent la compétence des individus servant votre Frégate, n'est-ce pas ?''

A bord de la Pierre au Fusil, il était connu que la flatterie n'était d'aucun secours avec moi, mon égo ne se nourrissait aucunement de l'estime que l'on pouvait nourrir pour ma personne, mais une fois n'est pas coutume, je devais bien reconnaître que cela n'avais rien de désagréable, aussi j’accueillais ses excuses dissimulées avec un aimable sourire.

> N'importe quel prix dites-vous ? Vous apprendrez bien vite, mon Père, qu'avec moi les mots sont lourds de sens et d'engagement, mais rassurez-vous, je n'ai jamais exigé d'aucun de mes subordonné aucun sacrifice auquel je ne serai prêt ou auquel je n'aies déjà consenti. C'est pour cela que l'on me trouvait au devant des enquêtes, des affrontements, dans la mesure où mes hommes et mon handicap me laissait faire.

> Une assurance ? Je trouve mon assurance en les signes que l'Unique me confie, de plus vos états de service me laissent penser que c'est bien vers vous qu'Il me guide. Je pensais notamment aux rapports rédigés de ses supérieurs quant à sa faculté de fédérer les siens et à amener ses obligés a exécuter les ordres comme il se devait. Une qualité qui devait d'être valorisée entre un capitaine et son équipage.

> Je suis un homme de preuve, oui, mais surtout un homme de vérité. Répondez sincèrement à mes questions et je jugerai plus tard de votre véracité. C'est ainsi que j'assume mon rôle de Capitaine-Inquisiteur. Ainsi, le moindre des mensonges sera condamné au plus fort de mes capacités.

Pendant un instant, j'ai hésité. Je savais bien évidemment dans quoi je m'embarquais ici, mais Monseigneur Lazare semblait être une personne particulièrement... Imprévisible et dangereuse. Ce ne serait pas surprenant de regretter un quelconque mot prononcé en sa présence. Il va falloir que je sois prudent lorsqu'il sera dans les parages...

- "J'attends donc vos questions. L'Unique nous observe et je me dois d'être honnête en tout temps, en tant que porteur de sa parole." dis-je, croisant les mains sur mes cuisses.

À partir de ce moment, j'avais l'impression que je sautais dans le vide, étant donné que je ne savais pas à quoi m'attendre de Lodewijk Lazare, un des noms qui fait frémir le plus de gens en Dorado.

Bien, fort bien, le père De Faucourt devait à présent mieux comprendre sa position, mieux cerner mon autorité et sans doute, ce que j'attendrais de lui plus tard. Je suis l'ennemis des faibles, des lâches et des menteurs, cela ne signifie pas pour autant que les autres n'ont rien à craindre de moi.

> En ce cas mon Père, dites-moi d'où vient cette encre incrustée dans la peau de votre cou et donnez-moi une raison de la tolérer à mon bord. Demandais-je grave. J'avais la réputation d'être un père avec mon équipage, à la fois ferme et doux, impérieux et compréhensif, mais cet homme n'avait pas encore reçu ma bénédiction, il n'était pas encore de mon équipage, aussi je ne garderai d'aucun coup et ne ferai pas preuve de douceur.

Après cet entretien, s'il me satisfait, il aura tout le loisir de découvrir que ma douceur tient de la tempête succède l'ouragan.

Intérieurement, je n'étais même pas surpris de la question de Monseigneur Lazare. Pourquoi ? On me l'a toujours demandé qu'importe la personne à qui je m'adressais. Dans la culture trinitaire, les tatouages n'étaient pas bien vus et je le savais très bien. Il fallait donc l'expliquer pour une millième fois.

- "Aucun homme n'est de la perfection et je n'échappe bien évidemment pas à la règle. Le péché se présente sous diverses formes à chacun. Par la simple mesure de me purger d'une manière... Excentrique, ses marques de jais représentent la face cachée et honteuse de moi-même qui ne rendrait aucunement l'Unique fier." dis-je, tout en passant ma main dans mon cou.

Habituellement, je n'allais pas plus loin dans les détails de cette histoire. Je restais bref face à mon interlocuteur sur le sujet et on passait généralement au suivant. Par contre, cette entrevue est le début réel de ma carrière en tant qu'Inquisiteur. Donc, je devrais peut-être un peu plus déballé le tout.

- "Lorsque j'étais sur le Croisé, le bâtiment qui m'avait auparavant accueilli dans les Forces Armées Saintes, je devais participer à de nombreuses reprises aux opérations d'abordage étant donné le poste que j'occupais. Personnellement, je considère que d'enlever la vie à n'importe quelle création de l'Unique est un péché grave... Et donc, chacune de ses plumes représentes une vie enlevée." rajouta-je. "Bien évidemment que je ferai tout pour transmettre la parole de l'Unique, mais les dommages que je fais subir se doivent d'êtres punis."

Détaillant l'homme qui se tenait en face de moi pendant qu'il se dévoilait à moi, j'étais satisfait de ce que j'entendais, même si bien entendu je ne l'affichais aucunement. D'évacuer la culpabilité et la tentation en gravant sa chair était une méthode qui m'avait moi aussi séduit, que j'appliquais avec ferveur, mais discrétion.

> Bien. Dis-je simplement, sévère. A mon bord, je vous porterai avec moi dans de grandes opérations de purge, il ne s'agit pas là de défendre sa vie contre un oppresseur, mais de faire ce qui se doit d'être fait. Quand certains ne voient plus la lumière de l'Unique, il vaut mieux les délivrer de leur prison charnelle que de les laisser traîner leur âme plus lamentablement et de risquer de contaminer d'autres fidèles. Marquant une pause, je fixais mon regard couleur acier sur le visage de mon interlocuteur :

> Mon Père, si je vous confie la masse qui servira à crucifier chacun des pécheurs que je vous désignerai, que ressentiriez-vous à chaque coup donné ? Me serviriez-vous dévotement ? Nul sourire, rien qui ne laisse deviner en mes mots un défi, une mise à l'épreuve, car ce n'était pas là une fanfaronnade, mais un mission à laquelle je m'étais déjà adonné et à laquelle je m'adonnerai de nouveau quand cela sera nécessaire.

Je joignis mes mains devant moi et je posa mon regard sur Monseigneur Lazare, étant donné qu'il fallait que je passe un message, il faut pas que je paraisse comme un indécis, un lâche ou un faible.

- ''Je serai apte à accomplir ma tâche d'Inquisiteur et mon devoir envers l'Unique. Je suis simplement quelqu'un qui préconise les méthodes beaucoup moins... Radicales. Par contre, mon plumage est particulièrement garni et ce n'est pas pour rien. Je donne les résultats attendus, quand il le faut.'' dis-je.

Par la suite, je passa légèrement la tête, fixant le bas. Je souhaite autant que mon langage non-verbal passe le message que mes prochains mots.

- ''Monseigneur, je suis prêt à vous servir pour apporter le jugement de l'Unique devant n'importe quel pêcheur, pour qu'il soit prêt à accepter la gravité des actes, qu'importe la méthode utilisée.'' rajouta-je.

> Fort bien, avec vous je serai en mesure de compenser la dureté de certain de nos pairs. Dis-je en ayant une pensée pour père Vérité, qui mettrait volontiers Dorado à feu et à sang pourvu que quelques impurs soient purifiés dans le tas.

> Félicitations mon Père, vous avez satisfait mes demandes et exigences. Dis-je avec sourire, mais un regard toujours aussi dur. Nous nous verrons demain pour la suite de votre entretiens, vous me rejoindrez sur le tarmac, au pied de la Frégate Inquisitoriale "La Pierre au Fusil". Ajoutais-je en lui tendant la convocation à laquelle je venais d'apposer mon sceau et ma signature.

> Si vous avez des questions, mon Père, vous pouvez me les poser, sinon veuillez me laisser. Conclus-je avec ma dureté habituelle retrouvée.