Pretty (Jacked) Woman [Mel'Kho]

Tortuga est un bourbier. Un gourbi. Une décharge. Un cirque sous dôme tournant beaucoup trop vite autour d'une planète qui n'avait certainement rien demandé à personne.

C'était donc le dernier endroit où l'on pourrait envisager de trouver un quartier commercial correct... Ce qui ne pose en soit aucun problème dans un système éminemment consumériste entretenu par le vol et le recel, qu'il soit institutionnel ou criminel. Reilin en savait quelque chose, une partie de sa carrière s'était basée là-dessus !

Comme à son habitude, donc, à chaque fois qu'elle mettait le pied à terre, le premier endroit que venait à visiter Reilin était le quartier "commercial" de Tortuga, avec ses devantures bariolées, ses armureries, ses salles de jeux, ses échoppes suspectes et ses vendeurs de substances curieuses à la criée. Elle avait une liste de courses, qui l'emmena d'un espèce de garage tenu par un trinitaire alcoolique à la cahute d'un forgeron spécialisé en ornementation, puis chez un bricoleur électronique qui avait vaguement l'air habile.

Le meilleur moment restait le passage chez le "tailleur" local dans la moitié d'entrepôt minier qui lui servait de magasin. Une institution décorée à la va-vite qui empruntait plus à la friperie qu'au magasin de vêtements, mais qui avait le mérite de racheter autant qu'il vendait, ce qui donnait lieu à quelques trouvailles improbables de très bonne facture, et parfois même à sa taille. Le "tailleur" était là pour ça. Il faisait les retouches. Pas très habiles comme retouches, soit dit en passant. Reilin pouvait en témoigner, elle était cliente habituée.

C'est probablement pour ça que c'est vers elle que vint se réfugier le propriétaire, pour lui demander de l'aide. Il y avait là-bas une drôle de créature avec un gros animal qui faisait méchant, et qui parlait très très mal le standard.

Regard de Reilin vers la curiosité. C'était une masse colossale à la chevelure hirsute, plus grande et large qu'elle. A voir ça de dos, c'était le genre de pirate trop sûr de sa masculinité qui rentrait dans l'établissement pour jouer des tours au patron.

" Ya, m'en occupe. " lâcha la pirate du haut de ses trois têtes de plus que le tailleur.

Elle se dirigea donc vers la masse, filant donc avec tout son aplomb d'affranchi pour venir tapoter sur son épaule, en lui adressant un ferme mais serein :

" Oi pompaw, t'as besoin d'aide ? "

On me regarde comme une bizarre. Je suis pas d'ici, je sais, mais pas obliger me le montrer.

Je marche, les regards étonnés, regards craintifs, regards en coins, regards sourire. Que des regards, pas de mots. Je parle mal, mais j'aime parler, pas longtemps, pas beaucoup, mais j'aime.

Ey'lan est là.

J'ai envie de ce que Way'si m'a dit, un haut. Elle m'a dit que ce serait plus... mieux que la combinaison. Alors je vais chercher un vêtement haut, mais je sais pas trop et elle peut pas venir avec moi.

Je marche, regards, pas de mots.

J'arrive à une boutique avec des vêtements dedans, un petit monsieur est là :

Vêtement haut... pour moi... ici ? Je parle plus par geste que par mots. Il me répond avec un hochement de tête, alors je rentre.

Je reconnais le dessin de madame, alors je vais là-bas, mais y'en a trop, trop petits, trop de couleurs pas... jolie. Je sais pas comment faire, j'aimerai que Way'si soit là.

Ey'lan me regarde, elle peut pas m'aider, elle a l'air contente de pas chercher de haut pour elle, mais moi je veux être belle comme Way'si.

Je sens une main sur mon épaule, j'ai des hauts dans les mains, je me retourne et je vois une grande madame, elle est jolie elle aussi.

De l'aide, oui. Je... sais pas faire. Je veux un vêtement haut. Je réponds en lui tendant les deux hauts. Je comprends pas comment les enfiler, je me sens perdue.

" Oh. "

Capturer une expression de surprise sur le visage de Reilin relève de l'exploit. Reilin n'est pas le genre de fille impressionnable.

Sauf au moment précis où elle se rend compte qu'elle n'est plus la plus grande armoire à glaces des environs. Elle s'était résolu à envisager voir des hommes plus larges qu'elle ... Mais dans le cas présent, elle était devant la première femme.

L'expression et le ton qui portait l'expression étaient tellement impersonnels qu'il était impossible de savoir si elle était surprise et jalouse ou surprise et admirative. A bien y réfléchir, ce "Oh." avait été tellement morne qu'il était dur d'y reconnaître de la surprise.

Elle ne resta pas plus d'une seconde là-dessus, cela dit. Après avoir balayé du regard de bas en haut la silhouette de sa vis-à-vis, Reileen passa en mode "aide".

Elle agrippa donc les deux hauts et les reposa dans les bacs.

" Pas ça alors. Tu vas les craquer en les enfilant. "

Elle pointa un bras mécanique vers le rayon "hommes".

" Là-bas, t'as quelques chemises et t-shirts à ta taille. Moches ma pratiques. "

L'autre bras vers un présentoir à côté du guichet.

" Là-bas, c'est les tengs les plus grands pour les femmes. Plus élégants, ma j'ai déjà du mal à trouver pour moi. J'ai pas trop d'espoir pour toi. "

Elle repose les vêtements que j'ai choisi dans les bacs, alors je me penche pour les reprendre.
Craquer ? Je regarde les deux vêtements, et extrêmement déçue, je les repose Peut-être, oui

Non ! Pas moche, j'ai déjà pratique. Je veux... hum... mignon ? C'est un mot que m'a dit Way'si, j'aime bien.

Pas d'espoir ? Je fronce les sourcils et commence à avancer vers le vendeur tout petit. Je tape de la main sur son bureau. Marqué ici ! Grondais-je en pointant la devanture racoleuse où était écrit "Tout pour toutes et tous".

Le mensonge des non-Mo'ats, même ici. Ça m'énerve, ça m'agace. Dans l'ombre, Ey'lan coule derrière le comptoir, tout en silence, avant de sauter sur une pile de carton et surgir au visage du vendeur. Il pousse un cris de surprise. Il a peur.

Pas besoin d'être un génie pour savoir que ça sentait mauvais. On avait présentement affaire à une femme qui avait réussi un fait d'arme marquant, en réussissant à se projeter dans une fantaisie où Tortuga serait conforme aux prodiges promis par ses devantures tapageuses.

Est-ce qu'on avait néanmoins une raison de montrer ainsi son irritation ? Pour une ancienne sicaire comme Rei, pas vraiment.

" Je peux comprendre ton énervement, pompaw, mais on est à Tortuga ici. Y'a déjà pas tout pour des gens normaux. Y'aura pas ce qui est marqué sur cette pancarte. "

Rei s'était tournée vers cette grande dame, manteau ouvert et main au pommeau, mais avec une voix encore parfaitement posée ; ce timbre qui trahissait trop bien sa connaissance des issues de ce genre.

" Je suis sûre qu'on peut te trouver un truc mignon, mais j'aimerais autant que ça soit sans vagues. Ce type a déjà assez de soucis comme ça. "

Ey’lan, laisse. Dis-je en Mo’at. Ma compagne de route continue de grogner avant de finalement couler sous le bureau et revenir vers moi, contente de son effet.

Je me retourne face à la grande blonde, poings sur les hanches, regard agacé :

Pourquoi tu aides le menteur? Je cherche mes mots un moment et ajoute : Tu fais comme si tu m’aides, mais surtout tu l’aides, lui.

Je fronce les sourcils et fais un pas vers elle, ma voix gronde comme le cris d’un Swirya.
Pourquoi tu dis que je suis, un problème ?

Ey’lan commence à tourner autour de nous, comme à chaque fois que je suis énervée. Silencieuse, elle bouge en silence, faisant des ronds de plus en plus étroits, sans pour autant la toucher elle.

" J'aide les gens qui ont besoin d'aide. " répondit Reilin, sans élever le ton mais sans quitter la géante des yeux, " Il a plus besoin d'aide que to, tu le malmènes. "

Elle paraissait énervé. Il y avait matière, mais Reilin savait tenir tête aux gens, même quand ils réussissaient l'exploit d'être plus imposants qu'elle. L'étrangère demeurait la variable la plus hasardeuse ; sa bestiole, elle la planterait rapidement. Elle aurait probablement à se faire mordre pour ne pas perdre la grande de vue, mais elle avait déjà subi pire.

" Tu es agressive et tu as un animal agressif, devant quelqu'un qui n'a rien fait de mal. " fit-elle, revenant, par automatisme par rapport à un danger potentiel, à son idiome singulier " Da problème xeya mi tenye mit to. Arrange dat, et y'aura plus de problème. "

Ses mots sont durs. Ils réveillent la bête.

Petit bonhomme besoin d'aide ?! Les menteurs ne devraient pas avoir d'aide. Les menteurs font du mal à tout le monde, à eux-même aussi.

Toi aussi guerre contre Mo'tanui ? Hein ! Saisissant le tissu blanc le plus proche, soit le drap sur le comptoir du magasin, faisant tomber quelques vêtements, deux trois outils et quelques pièces. Je lance le drap dans les bras de la grande blonde.

Tiens ! Vraie couleur pour toi ! C'est la première fois que je fais ça. Je suis choquée par la violence de mon geste, mais les regrets viendront quand la colère sera éteinte.

Je lui hurle au visage le pire des rugissements que j'ai entendu dans les jungles de Mo'tanui, celui d'un Ni'huan contrarié. Tout le monde autour rentre la tête dans les épaules et moi je quitte la boutique, les yeux colère, Ey'lan sur mes talons.

Tout ce qui venait de se passer aurait probablement été intimidant pour la majorité de la population, même en omettant les points les plus curieux comme le lancer de drap blanc. Après tout, tout cela était effectué par un behemoth à côté duquel même Reilin avait des allures de gringalet. Se faire admonester verbalement par une armoire n'avait rien de rassurant.

Mais tout cela avait été le travail de Rei pendant un bon moment. Alors elle se contenta de hausser les épaules, puis d'essuyer la salive de son visage.

" On avait un Xalisque qui faisait le même bruit, au monastère. " fit-elle remarquer en reposant l'étoffe, alors que la Mo'at s'éloignait, " Il mordait salement. "

[...]

Quelques heures après l'événement, Reilin finissait son raid commercial peu fructueux sur Tortuga par un arrêt dans l'un des bouibouis du quartier des plaisirs. L'un de ces rares endroits où elle pouvait véritablement se détendre sur la station. Là-bas, elle s'était dans une discussion très vive et à haut volume sur l'histoire du cinéma avec le barman et trois jeunes pirates qui semblaient rivaliser de culture - ou plutôt d'inculture, vu les points basiques qu'elle avait à corriger - à grands renforts de boissons offertes - mais uniquement à Reilin - et de regards baladeurs.

Vraisemblablement le dernier endroit où Reilin s'attendait à retomber sur la rencontre vindicative qu'elle avait fait plus tôt dans la journée.

J'ai trouvé "soustif", mais peu pas porter pour montrer, on m'a dit. J'ai trouvé tissu, mais pas tailleur, je demanderai sur Ni'huan.

Toilette trop petites, mais nécessaire. Pour moi et Ey'lan, pas possible faire autrement. Je m'approche barman :
Ça ! Je veux ça. Te plait.

Il répond une blague sur mon langage, je rigole aussi, je sais que parle pas bien, préfère drôle que reproche. Ey'lan trouve piste de chasse, elle grogne doucement et marche silencieuse. Je suis son chemin des yeux.

Toi ?! Pourquoi ici ? Je... pas vouloir être méchante, mais colère tout à l'heure. Sincère, j'aime pas gronder, crier, taper. Sauf pendant chasse.

Barman me donne rhum. Grand verre qui me donne chaud à l'intérieur, j'aime bien.

Elle a plein de sac, moi juste un tout petit. Plus d'argent elle ? Pour plus de chance pour trouvaille.

Bravo ! Je dis en montrant ses sacs.

C'est instantané, Reilin se relève et fait face. L'espace d'un instant, le regard est dur. Parfaitement neutre, mais dur néanmoins. Il y a confrontation. La cour des miracles qui s'est réuni autour de sa personne regarde la nouvelle venue, puis revient sur la photogénique cinéphile. Une main vient se poser sur son bras. Elle la dégage vertement avec un regard assassin. Puis elle revient sur celle qui avait plus tôt marqué son excursion.

L'ancienne porte-flingue lève la main et adresse un curieux signe de la main à l'imitatrice animalière, à mi-chemin entre un acquiescement de la main et un balayage de l'air.

" 'M ta nating ! " gronde-t-elle avec un sourire, avant de ramener son propre verre pour venir trinquer.

Manœuvre qui révèle par ailleurs que Reilin a elle aussi bu, et qu'elle a de l'avance - Après tout, on lui a offert -.

Elle attrape un tabouret pour l'installer à côté d'elle, au grand dam de ses soupirants.

" Assieds-toi Xalisque ! C'est même sympathique que tu sois ici ! Alors, explique-toi, qu'est-ce que tu avais tout à l'heure ? Et tu as un nom ? Et d'où est-ce que tu viens ? C'est quoi ton vaisseau ? Je suis curieuse ! "

L'alcool aidant, la curiosité de Reilin s'exprime pleinement ...

Femme aux cheveux d'or est là. Pas facile de savoir si bonne ou mauvaise compagnie, mais hommes et alcool rarement bien, on m'a dit des histoires. Elle a l'air un peu contente de me voir, malgré nos... mes hurleries.

Sympathique à cause de ça ? Heu... d'eux ? Je dis en rattrapant mon faux-mot. Eux pour les gens, les humains sont jamais objets, jamais de jamais.

J'ai de mal avec nouvelles personnes... On a fait une sorte de liste avec If'har, alors j'énumère sur mes gros doigts Peur, frustration, excitation... Je cherches mes mots, je passe pensivement mes doigts sur les profondes cicatrices sur mon cou Je trouve pas facilement mots, pas facile faire sortir.

Nouveau meilleur départ, tu veux bien ? Je demande, en joie. Mel'kho, je suis Mo'at, de Mo'tanui... hum... Renaissance. Petit vaisseau, mais chasser chasseur d'esclave, on libère frères et soeur. Je termine avec un sourire bestial, puissant, quelque chose entre une gladiatrice et une bête. Je nouvelle dans l'espace, mais pas castagne ! Ma carrure parle d'elle-même, pas besoin gonfler bras ou poitrine pour montrer.

Et toi cheveux d'or ? Qui tu être ? Je demande, moi aussi curieuse.