Racines

Ce n'était pas mon premier voyage vers Mo'tanui. Je ne compte plus les déplacements à Vanguard, pour m'occuper d'animaux blessés impossibles à déplacer. Quant à Alegria, j'y suis également appelée parfois. Bien entendu, je n'oserai jamais poser le pied dans un des territoires dominés par le peuple de celui qui m'a jadis gardée captive.
Malgré cela, c'est la première fois que j'ose franchir les limites des villes. Une peur lancinante m'accompagne. Et si je faisais une mauvaise rencontre? Et si on m'emmenait de force pour être vendue à nouveau comme si j'étais un meuble, ou un gadget hi-tech dernier cri? Mais cette fois-ci, j'ai décidé que j'en avais assez de vivre dans la peur. Après tout, je ne suis plus esclave depuis mes huit ans. Je suis citoyenne de l'Union Corporatiste. J'ai Proton avec moi, ainsi qu'un paquet de pinces et de scalpels dans ma malette. Qu'ils viennent, ces salopards. Je les attends de pied ferme.

Je suis encore à la lisière de la jungle, mais les telem te krüü forment déjà un cocon protecteur autour de Proton et moi. Je vais sans doute pouvoir reconstituer ma réserver de Caly'Orouk te Liva, d'Anì'heyu Te Liva, peut-être même d'autres plantes que j'aurais cueillies moi-même, au lieu de les acheter dans les herboristeries! J'ai déjà ramassé quelques branches de Caly'Orouk te Liva, et le sentier que je parcours mène vers davantage de plantes. Prenant soin de ne pas m'aventurer trop loin - car Proton ne serait pas capable d'effrayer la faune dangereuse de Mo'tanui - j'explore ma planète natale, en pensant à mes ancêtres qui avaient dû faire la même chose que moi pour leur clan. Je sais si peu de choses sur le clan Jre'kan! Ma mère connaissait beaucoup de choses sur les plantes, mon clan était-il composés d'herboristes et de guérisseurs?

Proton se fige et dresse autant qu'il le peut ses oreilles minuscules. J'écoute attentivement, afin d'évaluer la menace potentielle détectée par mon molosse...

La course, instoppable, puissante. Liberté, être chez soit, être soit, être bien. Les lourds pas, les miens, les pas légers, ceux d'Ey'lan. Le bruit des feuilles que l'on écarte, des branches mortes qui craquent, l'odeur de l'humus, de la mousse gorgée d'eau.

Un bruit qui n'est pas d'ici, qui n'est pas des nôtres. Ey'lan grogne, je suis d'accord, nos longs pas nous y conduisent. Ici chez nous, nous reconnaissons les sons qui n'y sont pas nés, les odeurs intruses, les gestes étrangés. Ils sont là, ils sont deux, inconscients, stupides, destructeurs, étrangers, aveuglés par leur assurance, mais armés.

Nous les contournons, prêts à surgir, à les faire partir, à les renvoyer vers la partie morte de Mo’tanui.

Trop tard, l'un d'eux pointe son arme et tire ! Il ont touché leur proie. La détonation nous rappelle trop de mauvais souvenir, nous bondissons sans plus attendre. L'arme tombe, j'arrache la seconde, Ey'lan mord, je frappe, nous ne voulons pas blesser, juste faire partir, laisser Mo'tanui respirer, vivre sans être agressée.

Ils se recroquevillent, nous sommes plus fortes qu'eux, ils parlent, mais je n'ai pas envie d'écouter, pas envie de répondre. Ey'lan réponds, elle est fâchée. Ils se relèvent et courrent. Ca n'a prit que quelques battements de coeur.

Une autre odeur, d'autres sons : là d'où ont fuit les étrangers, deux autres. Je regarde, Ey'lan renifle.

Je retire les feuilles et bouts de branches de mes cheveux. Je ma soeur Mo'at et son compagnon d'un geste de la main.

Des bruits de pas se rapprochent de nous. Proton grogne, et reste près de moi comme je le lui ai appris, car je ne veux pas que mon chien prenne des risques pour me défendre.
Mes jambes flageolent à mesure que le bruit des pas en pleine course se font plus clairs. Enfin, je les vois. Deux personnes qui détalent comme si un toor'kraan était à leurs trousses...
Merde, merde, merde!
Un toor'kraan, aussi près de la lisière de la jungle? C'est possible, si des iwatanï ont décidé de lui tirer dessus. Pour l'instant, je n'en vois aucune trace, ni derrière les fuyards, ni dans les arbres. Et un toor'kraan qui poursuit sa proie ne la laisse généralement pas s'échapper très longtemps.
Les coureurs me dépassent très vite, et Proton aboie derrière eux. Ils s'éloignent, et les bruits de leurs pas avec eux. Le feuillage remue, dans la direction de laquelle ils sont arrivés. Mon coeur me donne l'impression d'exploser dans ma poitrine, tant je suis certaine d'avoir été rattrapée par le toor'kraan et d'être désormais au menu de son dîner.

Mais c'est un ni'it que j'aperçois. Il est accompagné d'une femme, une mo'at qui me salue.
Qu'est-ce qui s'est passé? Pourquoi ils courent comme ça?
Mon mojat est teinté d'un léger accent corporatiste, de la même manière que mon commun sonne un peu mojat. Va-t-elle m'en tenir rigueur? Les autres mo'at m'ont toujours intimidée, tant ma peur de ne plus avoir grand chose en commun avec eux est grande...

Elle n'arrête pas les chasseurs, elle semble apeurée, tendue. Elle a sans doute elle aussi de mauvais souvenirs qui ressurgissent en voyant ces étrangers ici, et à cause du coup de feu.

La violence tambourrine encore en mon coeur et dans ma tête, elle bloque mes mots, trouble ma vue, fait trembler le bout de mes doigts. Je m'accroupie et Ey'lan se colle à moi, je pose une main sur son épaule, puis, regardant ma soeur Mo'at dans le yeux, je pose mon autre main sur ma poitrine, me désignant.

Un gémissement, faible, là-bas, la proie blessée, mais pas encore morte. Je me relève d'un coup, Ey'lan fait un bond de côté. Faisant signe à ma soeur Mo'at de me suivre, je me lance sur la piste de la proie blessée.

If'har dit que les Mo'at doivent protéger et soigner Mo'tanui, alors je vais essayer.

La course, les feuilles contre mon visage, mes lourds pas dans la terre, la traque... chez moi.

En voyant la femme s'accroupir, je me demande si j'ai réellement parlé mojat, ou si j'ai encore parlé le commun sans m'en rendre compte. Cela m'arrive assez souvent: parler mojat en croyant parler commun, et vice-versa. Ou alors, mon accent est encore pire que ce que je croyais...

Son ni'it s'approche d'elle, et j'appelle Proton pour qu'il reste près de moi. Il reste calme. L'avantage d'un chien ayant grandi dans une clinique vétérinaire, c'est qu'il est habitué à toutes sortes d'animaux. Il n'a peur que des serpents et de certains lézards. La femme porte sa main à son coeur, et j'ai un moment d'hésitation. Est-elle blessée? Malade?

Soudain, elle se relève, m'indique une direction et s'y dirige, en courant.
Hé, attends moi!

Je tente de la suivre. Mais elle est rapide. Je me repère au bruit des feuilles. Les branchages des telem te krüu fouettent mon visage. Proton est aussi perdu que moi. C'est normal, après tout. C'est un chien des villes. Il est habitué au béton, aux humains omniprésents, et aux lumières artificielles.
J'arrive malgré tout à la suivre, ma mallette à la main. Je repère des plantes qui n'étaient pas présentes à la lisière de la jungle. Cela signifie-t-il que nous nous enfonçons dans la partie dangereuse? Mais où m'emmène-t-elle?

La proie n'est pas loin, je m'arrête et me tapie dans la végétation, le Vawm’ngä blessé est entouré des siens.

Famille... la mienne du passé est disparue, celle du présent vie entre l'espace et Mo'tanui.

Soudain bruits de pas derrière moi, j’attrape ma soeur avec force et douceur. Doucement, dans un Mo'at chuchoté je dis : Silence. Une main dans son dos, je pousse doucement pour que ma soeur se mette à genoux, comme moi. J'écarte le feuillage et montre la triste scène :

Petit blessé Les mots sont difficiles avec l'émotion. Je pose une main sur ma poitrine, l'autre sur la sienne : On doit l'aider. Tu sais faire ?

Avec Ey'lan, on pourra éloigner la famille. Je sais pas soigner les Vawm’ngä. J'inspire de l'air, puis souffle pour calmer le feu dans mes veines :

Je peux aider. Je sais pas faire. La bête en moi me laisse pas parler, elle veut que je regarde, que je surveille, que j'écoute. Alors je regarde, je surveille et j'écoute.

La famille est triste, le petit va mourir, ils savent. Ma colère gronde, les étrangers ne devaient pas. Mon corps se tend, Ey'lan gronde elle aussi. Nous sommes soeurs de colère.

Je rattrape enfin, haletante, la femme qui sort de son mutisme pour m'inciter à garder le silence. Elle me pousse doucement, et je me retrouve à genoux, tapie dans le feuillage.

Proton, couché!

Il s'exécute, et s'aplatit sur le sol, invisible lui aussi.
C'est alors que je les vois, devant moi. Des vawm'ngä, dont un blessé grièvement. Je comprends alors pourquoi les étrangers s'enfuyaient ainsi. Ils avaient des habits de chasseurs, et des dégaines de braconniers. Elle a dû les faire fuir avec son ni'it. Elle a eu bien de la chance de ne pas se faire descendre! Et eux, ils ont de la chance d'être passés devant moi alors que je ne savais pas ce qu'il fichaient. Et que Proton n'a pas été dressé pour l'attaque...

Ouais, je sais faire. Mais il y a beaucoup de sang, et si c'est une arme à énergie qui a fait ça, les dégâts sont sûrement considérables. Mais je peux rien promettre. Et il faut que les autres s'éloignent, sinon je ne pourrai pas m'approcher

Le ni'it grogne. Proton risque de s'y mettre aussi. Je pose ma main sur son garrot, espérant qu'il garde son calme...

Ça je sais faire Je pose une main sur son épaule Reste

Je pose une main sur le dos d'Ey'lan, elle grogne une question, je lui fais comprendre qu'on va y aller, après une petite tape affectueuse sur le flanc, je me lève l'un coup et cours vers les Vawm’ngäs. Ils sont autant surpris que troublés.

Ils crient, je leur répond, Ey'lan m'accompagne. A l'un je lance une poignée de boue avant de rire exagérément fort. L'apha est plein de boue, il est en colère. Je lui lance une deuxième poignée de boue et continue à rire. Il est très en colère maintenant. Il grogne, crache et s'élance vers moi. Alors je cours dans l'autre sens.

Ici c'est chez lui, il va vite, mais c'est chez moi aussi alors moi aussi je vais vite. J'entends les autres Vawm’ngäs qui suivent leur chef, leur alpha, sauf le blessé, lui il peut pas courir, il peut pas marcher. Alors je cours pour lui, je cours pour qu'on le soigne.

Ey'lan est avec moi, s'ils nous rattrape on leur fera un peu peur et un peu mal, mais pas de casse, pas de mort.

En voyant la femme se précipiter vers les Vawm'ngäs, son ni'it sur les talons, je réalise à quel point elle est grande. Pas étonnant qu'elle ait fait peur à ces saletés de chasseurs! Les désarmer a dû être un jeu d'enfant pour elle. Les pauvres bêtes fuient, laissant leur petit blessé seul. Parfait, je vais pouvoir intervenir.
Mais les conditions sont loin d'être idéales. J'ai l'habitude de travailler dans ma clinique, en environnement stérile. Et là, je vais peut-être devoir opérer en pleine jungle! Heureusement que je revenais d'une visite professionnelle, et que j'ai tout ce qu'il faut dans ma mallette...

Proton, surveille!

Il s'assied, et se tient prêt à aboyer en cas de danger. Je n'ai pas réellement besoin de sa vigilance pour l'instant, mais au moins il restera éloigné du Vawm'ngä blessé, et ne contaminera pas sa blessure. J'enfile mes gants, et m'approche de l'animal blessé, espérant pouvoir faire quelque chose...

(hrp: le dé évènement est lancé, pour savoir si le petit Vawm'ngä est condamné ou si on peut le soigner)

Le membre 'Kha'läan Jre'kan' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

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'Evènement' :

La course, les cris, la frustration, la chasse.

Le feu se réveille en moi, la bête crie sa satisfaction. Ca me rappelle les grandes chasses d'avant, quand Ey'lan devions encore chasser pour manger.

Les Vawm'ngäs commencent à hésiter, ils comprennent ce qu'il se passe, ils comprennent que je les ai entraîné loin de leur petit. Ils ralentissent, hésitent, mais alors qu'ils commencent à faire demi-tour, je suis là.

J'ai tapé sur leurs mâles, pas trop fort. Je fais peur surtout. Je gagne du temps. Je ne sais pas bien combien de temps il se passe pendant notre affrontement. Suffisamment en tout cas, car quand je reviens à la clairière, je trouve ma soeur Mo'at qui range ses affaires.

Faut partir, la famille arrive Elle est sur mes talons, sans doute convaincu que je compte dévorer leur petit. Heureusement, depuis que je n'ai plus besoin de chasser, je ne mange plus de viande.

J'aide ma soeur à ramasser ses affaires et on quitte le lieu.

Mel'kho, c'est mon nom. Mawey'txon, mon clan. Et toi ma soeur ? Demandais-je alors que nous passions les fourrés, à peu prêt sûre que la famille Vawm'ngä ne nous pourchasserait pas pour se réjouir de retrouver leur petit soigné.

C'est miraculeux. Le petit vawm'ngä avait eu la patte arrière sectionnée proprement par l'arme à énergie. Mais rien d'autre n'était touché. Un garrot, quelques points de suture, et c'était réglé. Bon, avec la morsure qu'il m'a infligée, c'est peut-être moi qui aurai à présent besoin de sutures...

Alors que je cherche du regard un lieu en hauteur pour laisser mon patient, à l'abri des prédateurs, Proton aboie. Et la mo'at arrive en courant, la meute sur les talons. J'appelle Proton et nous la suivons, aussi vite que possible.

Elle court encore lorsqu'elle se présente enfin. Essoufflée, je lève la main pour demander une halte. J'ai la trace des dents du vawm'ngä sur la paume, et une goutte de sang coule dans la manche de ma tunique.

Kha'läan, dis-je entre deux souffles courts. Du clan Jre'kan. Et lui, c'est Proton

Excité par la course, Proton court autour de nous, en bondissant comme un chiot. Il n'a pas eu peur de nos poursuivants. Encore une espèce qu'il a eu l'occasion de côtoyer quand il était chiot.

Mel'kho, je...je connais mal cet endroit. Est-ce que je peux vous demander un service à mon tour? Je crois que j'ai besoin d'un guide, pour sortir d'ici et finir ma cueillette...

Ma sœur à sauvé le petit, Calypso a parlé à travers ses doigts. Nous avons aidé à protéger Mo'tanui. Cela doit faire longtemps que ses pieds ne foulent plus le sol des forêts, car ses foulées sont lentes, hésitantes, pas comme les miennes.

Je calme mes pas et m'arrête. Ma sœur arrive bientôt, son chien avec elle. Ey'lan est avec moi, elle regarde tout ça du même œil que le mien.

Alors que Proton commence un autre tour, mais Ey'lan en a marre. Elle lui pose une patte sur le museau. Je sais qu'elle le chahutera s'il insiste encore pour faire autant de bruit et de mouvements.

Ey'lan Dis-je simplement pour la présenter.

Tu saignes Je lui attrape la main et d'une bourse suspendue à ma ceinture je répands une poudre noire dans sa paume et lui referme la main, ma mienne par dessus pour qu'elle ne l'ouvre pas. Je remarque qu'elle est vraiment tout petite, que je suis beaucoup plus grande qu'elle. Son poing est à peine plus grand qu'une poignée pour moi. Ça pique, mais ça nettoie. Après tu craches, tu frottes et tu jettes.

Je connais pas les plantes. Je peux t'emmener si tu me dis où. Le silence retombe sur nous, le feu dans mon sang s’apaise, le danger est parti, la course aussi. Soudain, comme une pluie, le bruit de la forêt nous tombe dessus, les petites bêtes et les grosses, la vie, Mo'tanui.

Le ni'it pose une patte sur le visage de Proton. Chez les chiens, c'est une marque de dominance. Il ne va pas aimer ça du tout! Je le rappelle, pour éviter toute bagarre.

Elle me précise que le ni'it est son ami. Perplexe, je cherche quelque chose à lui répondre, tant il était évident que cet animal était domestique, et non un ni'it sauvage qui aurait décidé de la suivre sur un coup de tête. Et elle s'est exprimée étrangement. Comme si "ey'lan" était le prénom de l'animal. En tout cas, cela ne serait pas le nom le plus étrange donné par quelqu'un à son animal de compagnie! En tout cas, elle semble très proche de cet Ey'lan, et cela me fait chaud au coeur.

Je n'ai pas le temps de désinfecter ma morsure avec le désinfectant chirurgical rangé dans ma mallette, Mel'kho verse une poudre dans ma main. La sensation de picotement me laisse penser qu'il doit s'agir d'une préparation à base de sève de Fkxa'kewll Te Krüu. Cette sève désinfecte très bien les plaies ouvertes. Je fais ce qu'elle me dit. Je crache, frotte, et jette.

Je cherche des Caly'Orouk Te Liva, et des Anì'heyu Te Liva. Mais si c'est possible, je voudrais trouver un maximum de plantes médicinales. Y'a-t-il des Nawm'syulang par ici?
J'ouvre à nouveau ma mallette pour en sortir des compresses pour ma main. Une pour essuyer les résidus de poudre, une pour panser la plaie.

Je connais les feuilles, l'odeur, la texture, mais pas beaucoup les noms.

Caly'Orouk Te Liva, je sais, mais les autres... dis à quoi ça ressemble, comment ça... touche, comment ça sent. Je réponds en frottant la main droite dans la paume de ma main gauche, comme si je touchais la feuille de la plante.

Il fait calme, pas trop d'agitation, pas de prédateur proche ça veut dire.

Viens Je marche en poussant délicatement, mais avec force les branches et tiges énormes qui barrent le passage. Je les tiens pour ma Soeur Mo'at. On s'en va voir les Yeux de Calypso.

Au bout de quelques minutes, la flore change doucement, je reconnais les voisines des Caly'Orouk Te Liva, on y est presque.

Là, juste derrière, les Yeux de Calypso ! Dis-je, heureuse de rendre service à ma Soeur Mo'at.

Nous sommes entourrées par de hautes plantes, la vue cachée par de hautes feuilles, un labyrinthe sans la vue, mais à l'odorat, au touché et à l'ouïe.

Pendant que nous marchons, je tente de décrire à Mel'kho l'aspect d'une Ani'heyu te Liva. Mais je me perds un peu dans les détails des pétales bleus, le nombre des feuilles, le coeur jaune doré. Pour ce qui est de l'odeur et du toucher, je suis un peu perdue également, car cette fleur n'est pas connue pour sa senteur, et elle a la texture ... d'une fleur. Je suis certaine que Mel'kho ne comprend rien à mes explications confuses. Elle doit vraiment me prendre pour une sorte d'illuminée!

Les nawm'syulang, ce sont des fleurs rouges très hautes
Cette fois-ci, je ne m'embarrasses plus de détails, et indique un arbre proche pour donner une idée de la taille. Il n'y a rien de semblable sur Mo'tanui, je devrais avoir plus de chance que ma guide comprenne de quoi il retourne.

Et nous trouvons des specimens d'yeux de Calypso, bien plus beaux que ceux que j'avais cueillis en lisière de forêt! Je coupe quelques branches. Et, instinctivement, je prononce le début de la prière à Calypso que ma mère m'avait apprise, en cachette de notre geôlier. Est-ce une vieille tradition que j'aurais apprise enfant, puis oubliée jusqu'à ce que les fleurs ne me la rappellent?

Je divise ma prise en deux et attache les branches en bouquets avec de la ficelles. Puis elles rejoignent les autres dans ma mallette.
La moitié sera pour toi, pour te remercier de ton aide. Tu sais le préparer?

Cette Kha’läan doit être une soigneuse, comme celles du clan Mawey’txon, qui connaissent les plantes par leurs noms complexes et les toxines. Moi je sais juste reconnaître quelques unes, surtout celles qui soignent et celles qui tuent.

Je connais Mo’tanui plus par son odeur, ses sons et son touché. Quand je cours, quand je traque je ne vois que mon chemin, pas le reste. Toutefois, je connais les nawm'syulangs, j’y chassais occasionnellement des Naä’ites, quand avait de quoi me faire des javelots.

Nawm'syulang, je connais, mais elles ne sont pas vraiment proche. Répondis-je, toujours en mojat.

Je la regarde couper les branches, comment elle fait pour pouvoir refaire, même si ma vie n’était plus dans la jungle. Je connais les mots qu’elle dit, mais ils datent d’avant, d’avant que je ne perde, que l’on ne me perde. Une larme de douleur et de tristesse coule sur mon visage, une larme de la Mel’kho d’avant.

Non, je sais pas préparer, mais garde, tu… feras plus bénéfice, que moi, avec. Je ravale ma tristesse et cette grande douleur que me rappelle mes mots difficiles et les marques sur ma peau, sur mon corps.

Ey’lan grimpe sur moi, doucement comme d’habitude et le lèche le visage de sa longue langue, effaçant ma tristesse, pour un temps, la remplaçant par mon sourire.

Zut, les Nawm'syulang sont trop loin d'ici. Avec Mel'kho à mes côtés, le voyage se passerait probablement bien, mais je ne veux pas abuser de sa gentillesse. Elle a sans doute d'autres choses à faire que de promener une mo'at déracinée dans un lieu qu'elle aurait dû connaître sur le bout des doigts si la vie n'avait pas semé sur son chemin des vermines en uniforme blanc...

J'insiste! Je pourrai te les préparer. Ca prend un peu de temps et du matériel, mais si tu me dis où je peux te les envoyer...ça va?

La géante sans peur qui me guide dans un milieu plein d'animaux dangereux semble au bord des larmes. Incrédule, je m'approche d'elle juste à temps pour voir Ey'lan la réconforter. Cela me fait sourire à mon tour. Proton a des comportements similaires avec moi. Je n'ai pleuré qu'une fois devant lui, tellement je répugne à me laisser aller à mes émotions si je ne suis pas seule dans une pièce close. Mais ce jour là, il m'a apporté son jouet préféré pour me consoler.

Si tu préfères rester seule, je peux repartir de mon côté, lui dis-je, oubliant que je n'ai aucune idée du chemin à parcourir pour regagner Vanguard et que je n'ai pas de moyen de défense contre les prédateurs.
Si tu veux parler, tu le peux aussi. Je...suis meilleure en plantes qu'en mots, mais qui ne tente rien n'a rien!

Je prends les petites mains de Kha'läan dans les miennes. Mes larmes finissent de couler.

Je n'ai plus les mots. J'ai oublié. Les mots brûlent ma gorge. Trop de douleur. Trop longtemps. J'ai oublié Pas de plainte, j'explique. C'est moi ainsi, je suis force, douleur et oubli. Je prends Ey'lan dans mes bras et la sert contre moi, elle aime pas trop, mais là elle veut bien. Ça apaise mes brulures à l'intérieur.

Je relâche mes bras et me relève de toute ma taille. Les larmes ont fait des traces sur la poussière sur mon visage. La tristesse laisse sa place à la force, à la colère retenue, le don que Calypso m'a fait.

Toi pas toute seule ici, sinon tu vas te perdre... ton chemin. Du revers de la main, j'essuie mon visage.

Je t’emmène aux Nawm'syulang. Je m'ouvre à Mo'tanui pour retrouver mon chemin, après avoir bien senti et écouté. Viens ! Je dis, en faisant un grand pas, puis un autre et encore un autre, reprenant de la force au fur et à mesure.

Pourquoi tout ça ? Je demande en pointant ses sacoches et surtout, ses récoltes.

Trop de douleur, trop longtemps, elle a oublié...Pendant que j'essaie de comprendre le sens de ces mots, Mel'kho étreint Ey'lan. Proton se rapproche, et je le garde prudemment à distance. Mieux vaut les laisser toutes deux ensemble.
Qu'a-t-il bien pu lui arriver? Est-ce une soeur de plus dont la vie a été ruinée par la Trinité, ou la cause de sa tristesse est-elle autre? En tout cas, quelque chose l'a blessée. Et je ne trouve pas les mots pour lui demander ce qu'il se passe. Je reste silencieuse, jusqu'à ce qu'elle se relève et reprenne son attitude confiante, presque comme si rien n'était arrivé. Elle essuie ses larmes comme elle tourne une page.

Alors que je la suis, Proton sur mes talons, elle me pose des questions sur mon butin et mon matériel.
Je soigne les animaux. C'est mon métier. Mes instruments sont là-dedans
Je soulève ma mallette, pour appuyer mon explication.
Les plantes, c'est...plus personnel. Je pratique l'herboristerie traditionnelle de notre peuple. Je l'ai apprise seule, avec tout ce que j'ai pu trouver comme livres, ou comme exemples...
C'est au tour de mes vieilles blessures de s'ouvrir à nouveau. J'y suis habituée, et je me contente donc de soupirer doucement.
Ma mère aurait dû me l'apprendre, mais elle est morte quand j'étais enfant. Alors je rattrape le temps perdu, c'est ma revanche

Quand Kha'läan parle je marche moins vite, sinon elle s’essouffle et ne parle plus, c'est comme pour les autres en tout cas. J'écoute, comprends et sourie :

Bien ce que tu fais ! Aimer et respecter Mo'tanui. Grande estime pour sauveur d'animaux.

C'est des... comme toi qui m'ont cassé les chaînes, la deuxième fois. Première fois moi toute seule. Troisième avec frères et sœurs. Révélant une profonde et ancienne cicatrice sur mon biceps droit, elle remonte jusque sous mes vêtements. Mon histoire écrite dans ma peau, partout. Je le dis sans tristesse, aujourd'hui ça va mieux.

Avec If'har, Hush, Way'si et les autres, dans les étoiles, c'est comme la liberté. C'est la liberté qu'on apporte à nos frères et sœurs captives.

Mo'tanui m'a appris à l'écouter. Je me suis perdue ici, longtemps, alors j'ai appris à écouter. Je dis, j'aime raconter mon histoire, surtout en revenant ici, en retournant là.

Jamais perdue toi ? Je doute, elle a trop douce main pour perdue.

C'est donc bien la Trinité qui l'a blessée. Et pas qu'un peu. La balafre qu'elle me montre est profonde, et a sans doute dû laisser des séquelles. J'ai vu des cicatrices plus jolies sur des animaux, et pourtant quand on recoud des animaux, on ne s'embarrasse pas d'esthétique...
Je me demande qui sont les "comme moi" dont elle parle. Des mo'ats déracinés? Des vétérinaires? Des gens perdus dans la jungle avec des chiens? Je n'ai jamais entendu parler de ces gens qui libèrent des esclaves, mais j'aimerais bien les rencontrer, ne serait-ce que pour leur offrir un verre en guise de merci.

Perdue ici? C'est la première fois!
Je souris. Proton a recommencé à renifler Ey'lan, sans doute pour lui demander à nouveau de jouer avec lui. Je le rappelle à la hâte, pour éviter une bagarre.
En fait je suis née sur Mo'tanui. Mais j'ai grandi à Hope. On m'a...laissée là-bas quand j'étais enfant. En quelque sorte, c'est dans cette ville que j'ai été perdue.
Proton se range à côté de moi, sans vraiment marcher au même rythme que moi. Il s'ennuie, le pauvre. Il faudra que je joue un peu avec lui, plus tard.
Tu vis ici depuis longtemps, dans la forêt? C'est pour ça que tu la connais si bien?

Ey'lan sort ses griffes et grimpe dans l'arbre à côté, elle a marre du chien, elle suivra par les branches.

J'ai sourire quand Kha'läan dit née sur Mo'tanui.

Alors tu es Mo'at ici Je dis en montrant sa tête Et là J'ajoute en montrant tout son corps.

Sa question me rappelle beaucoup de souvenir, des bons, des mauvais, mais tous très forts.

4 ans seule, puis 12 ans avec ma Sœur Ey'lan. Plus aujourd'hui, je vais beaucoup dans les étoiles. Aujourd'hui j'ai retrouvé frères et sœurs Mo'at. Je chercher mes mots. C'est pas triste, mais c'est dur. J'ai oublié tellement... mais j'apprends doucement à être avec les gens.

En parlant, je marche, j'écarte les plantes qui sont sur le chemin. Je les respecte, essaie de marcher sans casser, pousser sans rompre. De temps en temps, quand je trouve une baie ou une fleur comestible, je prends pour moi ou pour Kha'läan. Gourmandise et appétit.

Son récit sur les étoiles et ses frères et soeurs Mo'at m'intrigue énormément. Elle voyage dans l'espace, après avoir vécu seule dans la forêt? Je ne connais pas beaucoup les vaisseaux spatiaux, ni les métiers que l'on peut exercer à leur bord. L'espace d'un instant, j'imagine un clan Mo'at vivant dans un vaisseau, nomade dans l'espace, exilé de Mo'tanui mais ayant trouvé un nouveau foyer. Une vision très proche de ce que je souhaite depuis si longtemps...

Mel'kho me donne quelques fleurs que je ne savais pas comestibles, et des fruits, dont une baie d'Ukeu que je range avec le reste de mon butin. Lorsque je trouve des Kxa'ylte Te Liva, j'en prélève quelques unes. C'est une excellente surprise! Je ne m'attendais pas à en trouver.

Tu sais quoi? proposé-je à Mel'kho. Il faudra que tu me donnes un moyen de te contacter à l'occasion. Quand j'aurai préparé mes plantes, j'en mettrai de côté pour toi, comme je t'ai proposé. J'insiste!
Je souris, et ajoute:
Si tu vas dans les étoiles, tu ne risques pas de trouver beaucoup de végétaux de Mo'tanui! D'ailleurs, tu fais quoi dans les étoiles? Tu explores?

Je sors maladroitement un HCom d'une poche, je sais faire, un peu.

Avec ça, on peut parler de loin. J'apprends. Dis-je avec une certaine fierté. D'accord, j'accepte. Elle parle comme pour une promesse, c'est important les promesses, important pour moi.

Dans les étoiles, je prends revanche ! Dis-je en écrasant mon poing dans dans ma paume avec grand bruit, un sourire féroce aux lèvres. Mais secret. Sinon colère. Personne aimer savoir pourquoi on m’appelle Swirya Sa'nok, Maman Swirya.

Je pose une main contre la poitrine de Kha'läan :
Nous sommes Soeurs Mo'at, nous protégeons. Tu protèges avec plantes et... instruments. Moi je protèges avec Force. Je dis en serrant mon poing.

Je regarde où est le soleil, à travers feuilles et entre troncs. Déjà tard.
Je raccompagne toi et après je rentre. Sinon en retard. J'aime pas être en retard, devoir expliquer et autres inquiets. Même si pas malin être inquiet pour moi en forêt.