Y a du soleil et une nana [Lodewijk & Raedhun]

- Ca a l'air...

Chiant. Je me mords la langue avant de lâcher le mot. Putain, ça fait mal !

- Eh merde ! J'me suis mordue, quelle conne. Enfin, je disais, ça a l'air prenant, ton truc. Et du coup, t'vas devenir médecin, directeur ou juge, sur le long terme ?

Je lève un sourcil, et je finis par lâcher un rire sincère. Ouais, pas de doute, on vit dans deux mondes qui ont rien à voir. J'hausse les épaules.

- C'pas vraiment un secret. J'espère juste que personne me piquera l'idée.

Et j'hausse encore les épaules quand il me demande ce qui me retient ici.

- Y a rien qui me retient ici, en fait. J'reste là parce que j'y suis pas mal, pour l'instant. Je finirai pas mes jours dans ce trou, mais j'ai connu des endroits foutrement moins accueillant que c'lui-là. Je bosse avec mon mari, et mon beau-père m'apprend beaucoup de choses. A cuisiner, à gérer mon commerce... Entre autre. J'aime bien ça. Et ce que j'aime par-dessus tout, c'est justement que j'suis libre de me casser à tout moment, si ça me chante. J'suis pas dans une putain de cage, dorée ou rouillée. J'suis libre. Tu vois, même là, j'prends une pause et personne viendra me faire chier pour ça. Enfin. Ca te dérange si j'fume ?

Je regarde Rae d'un air mi-amusé, mi-atterré, me doutant quelque peu de pourquoi elle c'était mordue. Sans pour autant lui en vouloir, nos cultures étant très différentes, il était normal que nous nous comprenions imparfaitement.

> Je me destine plutôt à une carrière militaire avec l'Inquisition, une sorte de police morale qui veille sur la société Trinitaire. Je bois une nouvelle gorgée de bière, le regard rêveur. J'aimerai devenir une figure, avoir un impact significatif, peut-être même devenir Capitaine, sait-on jamais.

J'écoutais Raedhun avec curiosité, si j'en avais appris beaucoup sur la société Trinitaire, on ne m'avait jamais proposé de regard interne aux classes sociales inférieures à celle qui était mienne à présent. Il m'était toutefois difficile de concevoir une femme libre de toute contrainte, après tout leur principal rôle étant celui de la famille. Sans doute son mari lui avait-il proposé de laisser à Rae une partie de la gestion de son patrimoine.

> Ça ne me dérange pas. Après une pause. Ton mari doit être un homme original, pour te laisser prendre part à ses affaires, ce n'est pas chose courante chez nous.

- Sympa, j'imagine. J'te souhaite tout ça, Lode. C'est vraiment des trucs que j'pourrais pas faire. Bon, déjà parce que ce serait impossible pour moi d'y accéder, mais surtout parce que, merde, une police morale ? T'as vu ma gueule ? Enfin, tant qu'tu m'arrêtes pas moi, tout va bien.

J'dis ça sur le ton de la plaisanterie, mais y a une part de moi qui est assez sérieuse et qui a pas hyper envie de déconner sur le sujet. Il a l'air assez ouvert comme gars, pour un type de la trinité. Mais j'me fais pas d'illusions, ils sont pas tous comme ça. Et puisqu'il me donne l'approbation, je sors de quoi rouler ma clope - juste du tabac, on va quand même pas pousser, hein. Surtout devant un type qui veut faire partie de la police morale.

- En fait, mon mari est un homme normal, chez nous. C'est mon beau-père qui m'a embauché. Mon mari est que le successeur. J'bosse bien, j'suis efficace, j'leur fais gagner des sous et j'suis débrouillarde. Y a pas d'raisons que je foute rien et que je les laisse faire tout le boulot. C'comme ça que je gagne mes repas et le reste. T'sais, j'suis une femme indépendante. J'supporterai pas d'être enchaînée à quelqu'un. Quand mon beau-père va crever, mon mari et moi, on deviendra associés. Pas un au-dessus de l'autre. Juste deux partenaires qui fonctionnent ensemble. Tu devrais essayer, j'te jure que c'est sympa.

Je perçois et m’amuse de la plaisanterie de Rae, toutefois je perçois aussi clairement le malaise sous-entendu : Le concept de police morale, de l’Inquisition, est chose exclusivement Trinitaire. Comme toute chose sociale, il n’est pas toujours aisé de comprendre les sociétés voisines :
> L’Inquisition ne s’intéresse qu’aux affaires Trinitaires, éventuellement à ceux qui interfèrent avec notre société, mais cela relève de la diplomatie, mais ça, ce n’est pas ma tasse de thé. Tant que tu ne fais pas de trafic d’esclave ou de propagande, je ne risque pas de venir te voir qu’autrement qu’en client. Dis-je, l’accompagnant d’un clin d’œil pour alléger mon propos.
Prenant une nouvelle gorgée, j’écoute ses mots.

Lorsqu’elle parle de son mari, cela me fait légèrement froncer les sourcils, surtout sa dernière phrase. Légèrement contrarié, je sais que cela se voit. Toutefois je prends le temps de former ma phrase, afin de ne pas être contrariant en retour.
> Il m’est arrivé de travailler avec des femmes, mais pas en tant que partenaire, je pense que cela n’arrivera pas. J’appuyais les derniers mots de ma phrase, espérant faire comprendre que le sujet était clos.

Reprenant une gorgée de bière, j’enchaîne sur un sujet plus plaisant :
> Que penses-tu des courses de bolide ? Moi je trouve ça fascinant cette puissance et cette vitesse, d’autant plus que je suis contraint, moi, à une certaine lenteur. Sans cette passion du droit et de l’ordre, sans doute me serais-je destiné à ce milieu. Dis-je, souriant.

J'sais pas si Lode perçoit mes inquiétudes à peine masquer ou si il sait qu'on fait pas que vendre des bières dans notre petit restau miteux, mais bon.

- En client... Et en ami, je rajoute avec un nouveau clin d'oeil. Tant qu'on se mêle pas de mes affaires, je me mêle pas de celles des autres.

Œil pour œil, dent pour dent, comme on dit. C'pas hyper difficile à comprendre, en fait. On a tous des trucs à cacher, et parfois pour de super bonnes raisons. Alors j'me fous de savoir ce que les autres font et j'vais sûrement pas voler le business de mon voisin. C'est assez compliqué comme ça de se faire un nom dans ce trou. Et c'est à son tour d'être mal à l'aise quand il parle de partenariat avec des femmes. J'lui aurais volontiers fait remarquer qu'il était le premier trinitaire à me considérer à peu près humainement malgré mes seins et mon vagin, mais bon, il enchaîne sur les courses de bolide, et moi j'hausse les épaules et j'prends une autre bouffée de fumée dans mes poumons.

- T'aimes les courses, toi? J'aurais jamais cru. Comme quoi, c'est dangereux de se fier à l'apparence. J'aime bien aussi, à vrai dire. Surtout à regarder, c'est sympa. Tu vas souvent en voir?

Et puis j'désigne sa jambe d'un coup de tête.

- D'ailleurs, il t'est arrivé quoi, si c'est pas indiscret?

Si, c'est forcément indiscret. Mais bon, on n'est plus à ça près.

Que Raedhun me qualifie d'ami me surprend quelque peu, mais je me reprends à son clin d'oeil :

> Ami oui, aussi surprenant que cela puisse paraître. Dis-je avec mon plus beau sourire.

La remarque de Rae m'arrache un rire. Dangereux de se fier aux apparences, je ne peux qu'acquiescer quand Rae dit cela. Les corps et origines sont trompeurs, seules l'âme est fiable, mais il faut bien du travail et de minutie pour la dévoiler et lui arracher ses secrets.

> Et bien oui, je n'ai pas que les origamis dans la vie ! Je trouve ces courses assez hypnotiques... mais je n'ai guère le temps de m'y rendre, je me contente des podcasts. Un peu amer, j'ajoute : Je n'en ai jamais vu en vrai. Bien des fois j'aimerai ajouter des heures aux journées, me dispenser de dormir, mais hélas le monde est ainsi. Se rapprocher de Lui exige beaucoup, y compris l'abandon de ses occupations futiles.

> C'est le vestige d'un miracle que je porte fièrement. Une maladie orpheline aurait dû me tuer en dévorant tous mes muscles, mais par Sa grâce n'a prit que ma jambe. Elle m'a cloué 4 ans à l'hôpital, mais Son intervention, je serai mort là-bas. En mes yeux brille un éclat bien spécifique à la Trinité, celle de la foi. J'ai entendu dire que chez moi, cela rassemblait une aura de terreur et d'espoir, un mélange bien paradoxal et puissant.

> Crois-tu aux miracles ? Toi qui n'es pas Trinitaire ?

Ouais, c'est vrai que c'est surprenant, d'avoir ce genre de relation avec un type a priori coincé qui a grandi dans une culture où on lui fait croire que les hommes sont supérieurs aux femmes. Mais comme quoi, faut vraiment pas se fier aux apparences, ni aux préjugés. On finit toujours par être surpris, quand on reste un minimum ouvert d'esprit. Ca, de l'ouverture, j'en ai. P't'être trop, même.

- Sérieux, t'en as jamais vu? J't'y emmènerai, à l'occasion. Tu laisseras tomber tes vieux streams pourris, et tu verras que ça a rien à voir en vrai. Peut-être même qu'un jour on pourra convaincre un de ces pilotes de nous emmener faire un tour. Qui sait!

Et j'redeviens totalement sérieuse quand il me parle de l'histoire de sa jambe. Un miracle dit-il. Une maladie qui aurait pu le butter. Ouais, j'le comprends en quelques sortes. Moi aussi, j'suis un peu une miraculée, en y réfléchissant. Alors j'reste silencieuse un moment face à sa question, et j'finis par hausser les épaules, en soufflant un gros nuage de fumée par le nez.

- C'est une sacrée histoire, dis donc. Si je crois aux miracles, moi? J'sais pas trop. J'suppose que ouais, mais... Peut-être pas comme toi tu y crois. J'suis plutôt du genre à croire au destin et aux rendez-vous. Genre qu'on a rendez-vous avec des gens ou des évènements, à certains moments de nos vies. Mon miracle à moi, ça a été Rob'. J'crois que je serai certainement morte, sans lui.

L’enthousiasme de Raedhun est bien drôle à voir, mais je doute que l’expérience des foules surexcités me satisfasse, même si je reconnais volontiers que faire un tour dans un de ces bolides est un mes rêves enfouis.

> Si l’occasion se présente, je compte sur toi pour m’y emmener Rae. Pour ce qui est de convaincre quelqu’un, je doute que qui ce soit soit capable nous faire front tous les deux ensemble. Un sourire aux lèvres, j’ajoute : En attendant, je vais me contenter de mes vieux streams pourris, comme tu dis !

J’écoute les mots de Raedhun avec la plus grande attention, car je sais que bien peu de non-Trinitaires reconnaissent les miracles. En plus des précieuses confessions d’une amie, c’est la précieuse interprétation de la foi, du dessein de l’Unique en la bouche d’une non-croyante. Ses mots confortent en moi mon interprétation de l’Emerentius : L’âme est refuge de l’être sensible et de la Foi. Elle est spécifique à l’humanité, mais pas aux hommes, ni aux Trinitaires. Il m’appartient donc de veiller les âmes de chacun et chacune, mais aussi de trouver les grandes âmes et m’y confronter.

Cette révélation cause en moi une véritable déflagration qui très vite me subjugue. C’est les lèvres tremblantes et les yeux brillants que je murmure un : Merci Rae, merci...

Tournant ensuite mon humide regard vers le ciel, un sourire ému aux lèvres, je Lui adresse en mon cœur une prière. En cet instant, je brule d’un amour sans limite pour l’Unique et la magnificence de Sa création.

- C'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde, hein. J'te traînerais même de force, s'il faut.

J'suis pas du genre à balancer ce genre de trucs et à oublier. J'espère qu'il en a conscience, sinon il risque d'avoir une drôle de surprise. On assistera à cette putain de course, et pas dans quarante ans. Il faut qu'il sorte un peu des sentiers battus, s'il veut vivre. Et même si on est super différents, il a pas l'air d'être totalement fermé aux nouvelles expériences - même si j'me doute qu'on pourra jamais baiser ensemble, par exemple. Et après, les choses partent en couilles, et clairement, y a un truc que j'dois rater, parce que je comprends plus rien à ce qui se passe.

Il a les larmes aux yeux d'un coup, et j'crois que j'ai dit une connerie, mais en fait, il me remercie et j'sens qu'il est on-ne-peut-plus sincère. Putain, mais il se passe quoi dans sa tête ? J'suis complètement paumée, et un peu désemparée aussi.

- Heu... De rien ? Enfin j'imagine ?

Merde, c'est quoi encore ce bordel. Et lui qui avait l'air à peu près normal, voilà qu'il chiale... Génial. Gé-nial.

- Excuse mon ignorance, mais si tu pouvais éclairer mes lanternes, ce serait pas de refus. J'ai rien compris à ce qui vient de se passer, là.

La confusion de Rae est si franche et inhabituelle qu’elle me sort immédiatement de ma transe zélote. La transition est rude et le regard un peu perdu que je me concentre de nouveau sur Raedhun. Prenant le temps de choisir mes mots, je préfère faire durer cet instant d’incompréhension que mal expliciter la situation. C’est donc après un silence pesant et m’être essuyé les yeux d’un mouchoir que je reprends la parole :

> Il existe plusieurs courants de pensées et interprétations des textes sacrés. J’en porte un très personnel, qui m’est très cher. Malgré toi, en m’apportant ta vision du destin, des miracles, tu me laisse penser que mon idée n’est pas que Trinitaire.

Constatant qu’en restant en surface je ne pourrais pas m’exprimer clairement, je décide d’ouvrir ma croyance à Readhun :
> Je crois sincèrement en l’existence de l‘âme, qu’elle est le refuge de l’être, de la moralité et de la Foi. C’est vraiment très important pour moi, plus que ne peux l’imaginer. C’est en effet le cœur de mon interprétation, que je place de plus en plus centralement dans mes lectures et dans ma mission.

> Tes mots, guidés par ton intuition, on rejoint mon idée de l’âme. Dis-je, contenant mon excitation, puis me vient une idée :

> En gros, c’est des conneries de philosophie Trinitaire. Dis-je en riant, en tentant de l’imiter.

Il tente de m'expliquer, et plus il fait ça, moins j'pige ce qu'il raconte. C'est p't'être un don qu'il a, de devenir plus flou à mesure qu'il cause ? Mais sa dernière phrase m'arrache un rire bref mais franc - p't'être le premier que j'ai depuis qu'on se connait, lui et moi.

- Ah, ça j'comprends.

Après, j'hausse les épaules. Les dieux et autres trucs de fois à la con m'ont jamais trop intéressée, en fait. Faut dire que si un Dieu existe vraiment, c'est le plus gros connard de tous les temps. Alors c'est mieux de croire en rien. Enfin, en rien... C'pas tout à fait vrai. J'crois en moi, c'est déjà pas mal, hein ? Et en des tas de trucs que je fais et de buts que je veux poursuivre.

- J'imagine qu'on appelle tous ça plus ou moins de la manière qui nous convient. Ca a l'air de vraiment te tenir hyper à cœur alors si t'as envie de penser que c'est ton Dieu qui fait ça, vas-y, j't'en prie. J'ai pas été élevée dans ce milieu là, mais ça doit être sympa aussi, de croire en quelque chose au point d'en chialer.

J'hausse les épaules, encore, et j'tire sur ma clope en regardant le ciel d'un air songeur. J'pense à tout ce qui se trouve là-haut. Tous les trucs que j'ai laissé, et tous les trucs qui tournent pas rond. Ici comme ailleurs, c'est le même combat, en fin de compte.

Tous les deux plongés dans nos songes, un moment de silence s’installa.

Il fut rompu par mon HCom, jetant un œil sur la raison de cette interruption de ce rare moment de paix, j’y répondais un laconique : Bien Monseigneur avant de m’en détourner et boire mes deux dernières gorgées de bière.

> Rae, j’espère sincèrement que notre amitié survivra aux événements et changements à venir. Après une hésitation, j’ajoutais : Si jamais tu rencontres des difficultés, contacte-moi et je t’aiderai à ma mesure.

Je me lève en m’aidant de ma canne, une grimace aux lèvres :
> Crois-moi, il vaut mieux me compter parmi ses alliés, ce sera d’autant plus vrai quand je serai Inquisiteur, mais bien peu pourrons se vanter de m’avoir comme ami. Mon regard est dur, il promet une violence glaciale et glaçante. Je sais prendre soin des miens. Dis-je en tendant une main à Rae, un sourire aux lèvres, contrastant avec mon regard.

> Je dois partir, mais on se reverra, ici ou dans ton bar spatial

Ca se sent, qu'il plaisante pas. Mais j'suis pas inquiète. J'ai pas d'ennemis, moi. Pas d'ennemis dangereux en tout cas. J'préfère avoir les gens de mon côté. Ca crée moins d'emmerde et mine de rien, ça facilite la vie. J'me crée mon réseau progressivement, avec des trucs que j'ai appris de mes parents et des trucs que j'apprends de mes beaux parents. C'est beau, la transmission. J'me lève et je serre donc sa main avec conviction.

- Et tu seras le bienvenu, ici ou dans mon bar spatial, comme tu dis. Prends soin de toi, Lode.

J'fais un clin d'oeil à ce gars que je connaissais pas quelques semaines auparavant et qui est devenu quelqu'un que j'apprécie. Une part de moi espère le revoir, mais l'autre se dit simplement qu'il arrivera ce qu'il doit arriver. On vit au jour le jour, par ici, et on profite des rencontres qui nous sont offertes. Rien de plus. Mais j'crois que lui plus que bien d'autre, il ira loin. Il a un truc qui trompe pas, juste là, dans son regard. Un truc qui me plaît.